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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/110

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tences vous corrigeront de cette démangeaison de nouvelle doctrine. En prononçant ces mots, l’abbé, enflammé par le vin et le ressentiment, s’arrêta ; car le moine silencieux, le père Cuno, tomba de son siège comme un soldat frappé d’un coup mortel. Ce religieux subalterne était entré dans la lice plutôt poussé par l’amour du vin que par des pensées de victoire, et il avait fait tant d’honneur aux libations qu’il n’avait pas été difficile de le vaincre. L’abbé regarda avec indifférence son confrère renversé, prouvant par son regard dur et fier qu’il jugeait cette perte peu importante pour le résultat. — Qu’importe l’impuissance d’un sot ! murmura-t-il, se tournant vers son dangereux et principal antagoniste, en lui rendant colère pour colère. Nous savons fort bien que le démon peut obtenir un triomphe momentané, baron d’Hartenbourg.

— Par les os de mon père, orgueilleux bénédictin, tu t’oublies étrangement ! Ne suis-je pas prince de Leiningen, et un frocard a-t-il le droit de me donner un autre titre ?

— J’aurais dû t’appeler landgrave d’été[1] ! répondit Boniface en souriant avec ironie, car une haine longtemps cachée commençait à rompre les faibles digues que la raison à demi éteinte des deux antagonistes lui opposait encore. Je demande pardon à Votre Altesse, mais un règne si court laisse de faibles souvenirs. Tes sujets eux-mêmes, noble Emich, peuvent être excusables de ne point connaître le titre de leur souverain. Une couronne qu’on n’a portée que depuis juin jusqu’en septembre peut à peine avoir eu le temps de prendre la forme de la tête.

— Elle fut portée plus longtemps, abbé, que la tête qui est sur tes épaules ne portera la couronne d’un saint. Mais j’oublie la dignité qu’un ancien nom réclame, et l’hospitalité que je dois à un convive, dans ma juste colère contre un moine artificieux et malin !

Boniface s’inclina avec un calme apparent, et tandis que tous deux ils cherchaient à recouvrer de la modération, par un souvenir confus de l’affaire qu’ils traitaient, la conversation de l’abbé français et du père Siegfried, qui jusqu’alors avait été étouffée par les voix de stentor des principaux adversaires, se fit entendre dans ce silence momentané.

  1. On a vu que le comte Emich n’avait été nommé landgrave que pour peu de temps, c’est pourquoi on l’avait surnommé, par dérision, le landgrave d’été.