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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/111

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— Tu dis vrai, révérend père, disait le premier. Mais si nos belles et spirituelles dames de France accomplissaient ces pèlerinages vers les reliques lointaines dont vous parlez, un traitement grossier pendant le voyage, une mauvaise compagnie, et peut-être des confesseurs trompeurs, pourraient ternir le lustre de leurs grâces, et les priver de cette beauté qui fait l’ornement de notre cour brillante et galante. Non, je n’approuve pas des opinions aussi dangereuses, mais j’essaie par de douces persuasions et des arguments courtois, de conduire leurs âmes précieuses plus près du ciel qu’elles méritent si bien, et où il est impie de dire qu’elles entrent rarement.

— Cela peut être convenable pour vos imaginations françaises, mais nos esprits allemands, plus lourds, doivent être conduits d’une manière différente. Par la sainte messe ! j’estimerais peu un confesseur qui ne connaîtrait que les discours persuasifs. Ici, nous parlons plus clairement des peines de l’enfer.

— Je ne condamne aucun usage en thèse générale, bénédictin ; mais nos pénitents plus civilisés trouveraient que ces condamnations directes manquent de décorum. Et cependant vous conviendrez que nous sommes moins infectés d’hérésie que dans vos cours du Nord.

Dans ce moment la voix sonore d’Emich, qui avait recouvré un peu d’empire sur lui-même, étouffa de nouveau celle de ses convives.

— Nous ne sommes pas des enfants, révérend bénédictin, reprit-il, pour nous quereller sur des titres. On m’a refusé les honneurs et les droits auxquels par ma naissance je pouvais prétendre, pour les accorder à une personne qui ne descendait point d’une lignée directe : c’est une chose connue, mais oublions-le. Tu es le bienvenu à ma table, et il n’y a aucun dignitaire de l’Église, ou de ta confrérie, que j’estime plus que toi et les tiens à dix lieues à la ronde. Soyons amis, saint abbé, et buvons à notre affection mutuelle.

— Comte Emich, je t’estime, et je prie pour toi autant que tu le mérites. S’il y a eu quelque malentendu entre notre couvent et ta maison, il faut l’attribuer à la malice du diable. Nous sommes une communauté paisible, plus adonnée aux prières et à une sainte hospitalité qu’au désir d’emplir nos coffres.

— Nous ne nous arrêterons pas sur ce point, mon père, car il