Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

position présente, le plus grand sophisme, s’il eût eu l’apparence de la raison, était capable de l’enflammer de colère ; assailli de cette sorte, il offrait un hideux tableau de la férocité des passions humaines lorsqu’elles sont abruties par une longue indulgence. Ses yeux semblaient sortir de leur orbite, ses lèvres tremblaient, et sa langue refusait d’exprimer sa colère. Il éprouvait alors cette confusion d’idées que venait de ressentir le comte, et quoiqu’il en prévît les conséquences, il cherchait avec désespoir à ranimer ses forces dans la liqueur même qui les avait détruites. Le comte Emich avait perdu, comme son antagoniste, toute faculté de s’exprimer intelligiblement ; mais comme il n’avait jamais brillé par son éloquence, il conservait encore assez de pouvoir sur ses forces physiques pour continuer à boire ; il agitait sa main en signe de défi. C’est ainsi qu’un rejeton d’une maison illustre et princière et un prélat mitré passèrent la nuit, ne conservant des plus nobles qualités de notre être, que l’intelligence nécessaire pour leur rappeler le but de ce singulier combat.

— La malédiction de l’Église sur vous tous ! s’écria Boniface en faisant un effort. Puis tombant en arrière sur son fauteuil bien rembourré, ses forces cédèrent à l’influence de la liqueur qu’il avait bue.

Lorsque le comte Emich contempla la chute de son antagoniste, un rayon d’intelligence brilla dans ses yeux recouverts d’épais sourcils. Par un effort désespéré, il se leva, et, avançant un bras, il prit possession du contrat par lequel la communauté de Limbourg abandonnait ses droits sur le produit des vignes disputées. Alors, marchant avec l’air d’un homme habitué à commander, même dans son ivresse, il fit signe à son forestier d’approcher, puis, aidé de son bras jeune et vigoureux, il quitta l’appartement d’un pas inégal, laissant la salle du banquet comme un camp abandonné, tableau révoltant de la faiblesse humaine dans sa plus honteuse dégradation.

Lorsque le comte tomba pesamment sur sa couche, revêtu des habits qu’il portait à table, il agita le parchemin dans ses doigts en le montrant à son jeune serviteur ; puis, fermant les yeux, sa respiration pesante et agitée annonça bientôt que le vainqueur de cette débauche vivait sous le même toit que le vaincu, abruti et sans force.

C’est ainsi que se termina la célèbre orgie d’Hartenbourg, espèce