Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/121

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tail de Limbourg. Il était accompagné d’une femme qui paraissait la sienne, et qui était montée sur un petit cheval, portant en croupe une vieille matrone qui s’attachait à la taille bien prise de sa maîtresse avec la familiarité des anciens domestiques et l’inquiétude d’une personne qui n’est point habituée à un pareil siège. Une jolie fille aux cheveux blonds était assise derrière son père, et un domestique vêtu d’une espèce de livrée complétait cette cavalcade.

Un grand nombre des citoyens les plus recommandables de Duerckheim se hâtèrent d’aller recevoir ces derniers arrivants, qui n’étaient autres qu’Heinrich Frey, avec Méta, puis la mère de cette dernière, et Ilse, qui venait par hasard à la messe de Limbourg. Le riche bourgeois fut conduit dans la partie de l’église où des sièges particuliers étaient réservés pour les fonctionnaires de la ville, lorsque le hasard les conduisait au couvent, ainsi que pour les gentilshommes que la dévotion ou des circonstances particulières amenaient aux autels de l’abbaye.

Heinrich Frey était un bourgeois robuste, bien portant et entêté, chez lequel la prospérité avait un peu refroidi le cœur : s’il eût pu se garantir de l’influence que les dignités et les succès exercent sur le caractère, il n’eût manqué dans le cours de sa vie ni d’humanité ni de modestie. C’était enfin, sur une petite échelle, un de ces nouveaux déserteurs des rangs de l’espèce humaine, que nous voyons passer au corps d’élite des heureux. Dans sa jeunesse, il avait témoigné une généreuse sympathie pour les maux et les embarras qui accablent le pauvre ; mais un mariage avec une héritière, et des succès, l’avaient graduellement amené à une manière d’envisager les choses plus en rapport avec ses intérêts qu’avec la philosophie ou la religion. Il était un des fermes appuis de cette doctrine qui prétend que les riches ont un intérêt assez puissant dans la société pour être chargés de sa direction, bien que son instinct lui dévoilât le sophisme, puisqu’il hésitait journellement entre des principes opposés, suivant qu’ils affectaient ses affaires personnelles. Heinrich Frey donnait largement aux mendiants et aux ouvriers ; mais lorsqu’il s’agissait de quelque amélioration sérieuse dans le sort des uns ou des autres, il secouait la tête de manière à laisser croire à de mystérieuses vues politiques, et proférait quelques remarques subtiles sur les bases de la société et sur la manière dont les choses étaient