Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/135

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éloigné de votre pays, et certainement il n’a ici aucune force visible pour contenir votre main rebelle. Nous supposerons qu’une famille qu’il protége, ou, pour mieux dire, qu’il aime, gêne vos projets ambitieux, et que le tentateur vous a persuadé qu’il fallait l’éloigner ou la détruire par la force des armes. Seriez-vous assez faible, comte Emich, pour céder à de tels conseils, lorsque vous savez que le bras de Charles est assez long pour atteindre de Madrid aux parties les plus éloignées de l’Allemagne, et que sa vengeance serait aussi sûre qu’elle serait terrible ?

— Ce serait une guerre hardie, père prieur, que celle d’Emich de Leiningen contre Charles-Quint ! Si j’en avais la liberté, saint moine, je choisirais un autre ennemi.

— Et cependant vous voudriez combattre contre un maître plus grand encore ; vous levez votre bras impuissant et votre volonté audacieuse contre votre Dieu ! vous méprisez ses promesses, vous profanez ses autels, vous voulez enfin renverser le tabernacle qu’il a élevé. Croyez-vous qu’il sera le témoin impassible d’un pareil crime, et que son éternelle sagesse oubliera de punir ?

— Par saint Paul ! tu plaides cette affaire tout à fait dans tes intérêts, père Arnolph, car il n’y a point de preuve que l’abbaye de Limbourg ait une telle origine ; et si elle l’a, n’est-elle pas tombée en disgrâce par les excès de ses habitants ? Tu devrais envoyer chercher les pères Cuno et Siegfried pour témoigner en sa faveur. Par la sagesse de Dieu ! je discute mieux avec ces dignes compagnons qu’avec toi !

Emich éclate de rire, et ce bruit, sous les voûtes de cette chapelle, résonna aux oreilles d’Arnolph comme le rire moqueur d’un démon. Cependant l’équité naturelle du père Arnolph lui dit tout bas que la gaieté du comte n’était que trop justifiée par la conduite de ceux qu’il accusait, car il déplorait amèrement depuis longtemps la dépravation de plusieurs membres de la confrérie.

— Je ne suis pas ici, dit-il, pour porter un jugement contre ceux qui sont dans l’erreur, mais pour défendre l’autel que je sers et tâcher de vous épargner un crime. Si votre main se lève contre ces murailles, elle se lèvera contre le monument que Dieu a béni, et que Dieu vengera. Mais vous avez des sentiments humains, comte Emich, et si vous doutez du caractère sacré du monastère que vous voulez détruire, vous ne pouvez vous méprendre sur