Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/140

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— Il y a déjà de nobles gentilshommes sous votre toit, et je ne voudrais pas être obligé…

— N’en parle pas : celui qui porte un riche pourpoint avec une croix blanche est un chevalier de Rhodes sans asile, qui erre comme la colombe pour éviter le trait du chasseur, ne sachant où arrêter ses pas ; celui qui porte des vêtements noirs est un abbé français, passablement oisif, car il ne fait pas autre chose que de babiller avec les femmes ; abandonne-lui les tiennes, car elles sont accoutumées à ces galanteries.

Zum Henker ! noble seigneur, je n’ai jamais douté de leur goût pour toutes ces vanités ; mais ma femme n’est point en humeur de supporter des attentions de cette nature, et, pour ne rien vous cacher, je vous avouerai que je n’aime pas non plus être témoin de toutes ces fadaises. Si la noble Hermengarde, votre compagne, était au château, ma femme et ma fille seraient heureuses de lui faire leur cour ; mais, en son absence, je suppose qu’elles seraient plus importunes qu’elles ne causeraient de plaisir.

— Ne t’inquiète pas de cela, honnête Heinrich, mais laisse-moi conduire cette affaire ; quant à ces deux paresseux, je leur trouverai de l’occupation aussitôt qu’ils seront hors de selle ; ainsi je n’excuserai pas même ta fille si elle ne vient pas au château.

Cette invitation franche et pressante de la part du noble l’emporta, quoique cet arrangement ne plût pas extrêmement au bourgeois ; mais, dans ce siècle, l’hospitalité avait un caractère si positif, qu’on n’admettait aucun refus sans une excuse suffisante. Après cette invitation, Emich alla faire sa cour aux dames ; passant sa main sur sa barbe et ses moustaches, il effleura les joues d’Ulrike avec une franche affection, et, se fiant à son âge et à son rang, il dépose un baiser sur les lèvres fraîches de Meta ; la jeune demoiselle rougit, se mit à rire, et, dans sa confusion, elle fit la révérence comme pour reconnaître la grâce que lui avait faite un si grand seigneur. Heinrich, quoique très-peu porté à approuver que sa femme et sa fille fussent l’objet de la galanterie d’un étranger, fut témoin de ces libertés, non-seulement sans alarmes, mais avec un plaisir évident.

— Bien des remerciements, noble Emich, pour l’honneur que vous faites à ma femme et à ma fille, s’écria-t-il en ôtant de nouveau sa toque. Meta n’est point habituée à de pareils compliments, et elle ne sait pas comment reconnaître cet honneur ; car,