Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/181

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voisine, que, comme chrétiens, nous sommes obligés de nous son mettre aux exactions de ces révérends coquins, et que nous venger c’est attaquer l’autorité du ciel ?

— Vous posez le cas à votre guise, comte ; je n’ai point parlé d’une abjecte patience ni d’une soumission inutile. Si les moines de Limbourg oublient la sainteté de leurs vœux, cela regarde leur propre salut. Quant à nous, nous devons nous garder de toute offense envers celui que nous devons adorer.

— Bonne Ulrike, interrompit le comte en reprenant son siège avec la familiarité dont il avait usé au commencement de cette conversation, parlons en toute liberté de l’inclination de votre fille : j’aime le jeune Berchthold, et je veux lui rendre service si j’en trouve les moyens ; mais je crains bien que nous n’ayons beaucoup de peine à amener Heinrich Frey à consentir à cette union.

— La crainte de son refus m’a causé beaucoup d’inquiétude, comte d’Hartenbourg, répliqua la tendre mère, car le bourgmestre n’est pas un homme qui change promptement d’opinion. Les conseils trop zélés de ses amis augmentent sa confiance en lui-même, au lieu d’ébranler ces résolutions que le plus sage d’entre nous forme souvent à la hâte et sans y réfléchir.

— Ce penchant de votre excellent mari ne m’avait point échappé. Mais Heinrich Frey fut marié si heureusement lui-même, bien qu’il n’apportât aucune richesse de son côté, qu’il ne peut pas raisonnablement être trop sévère pour un jeune homme qui aurait connu une meilleure fortune sans les malheurs de ses parents. Celui qui fut pauvre devrait respecter la pauvreté dans les autres.

— Je crains que ce ne soit pas le penchant de la nature humaine, répondit la pensive Ulrike, ignorant presque ce qu’elle disait. L’expérience prouve chaque jour que ceux qui se sont élevés montrent le moins de condescendance pour ceux qui restent en arrière. Et comme personne ne prise les honneurs autant que ceux pour lesquels ils sont nouveaux, il ne faut pas espérer que l’homme heureux oubliera de si tôt les inquiétudes poignantes de l’adversité, pas plus que celui qui est nouvellement élevé aux honneurs n’approfondira leur vanité.

— Heinrich n’est pas assez jeune en expérience et assez nouvellement élevé aux honneurs pour être rangé dans cette classe.

— Heinrich ! s’écria Ulrike, sur les traits chastes de laquelle