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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/195

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voir sur l’esprit d’Heinrich, car, Lottchen, les hommes qui attachent du prix aux sourires du monde ont un grand respect pour ceux qui possèdent largement les faveurs de la fortune.

La veuve baissa les yeux ; car rarement, dans leurs nombreuses et amicales confidences, Ulrike faisait ainsi allusion aux faiblesses de son mari.

— Et le comte Emich ? demanda-t-elle, désirant changer la conversation.

— Il est disposé à nous aider, comme je te l’ai déjà dit ; ce matin je lui ai exprimé nos désirs à ce sujet, et je l’ai pressé de parler en notre faveur.

— Ce n’est pas ton habitude de solliciter le comte d’Hartenbourg, Ulrike, répondit Lottchen, levant les yeux sur le visage de son amie qui se colora d’une teinte rose si faible, qu’on eût pu croire que ce n’était qu’un reflet fugitif de quelque partie plus brillante de sa toilette, tandis qu’un sourire plus prononcé se montra sur ses lèvres. Les regards qui furent échangés parlèrent de souvenirs à la fois riants et mélancoliques, souvenirs qui semblaient d’une manière expressive embrasser à la fois toutes leurs jeunes années.

— Ce fut ma première demande, reprit Ulrike ; je ne puis pas dire que ce service me fut entièrement refusé, bien que sa réussite fût soumise à une condition impossible à accorder.

— Il faut qu’il demande beaucoup, en effet, s’il demande trop à ton amitié.

Lottchen parlait sous l’influence d’un profond désappointement, sentiment qui fait souvent oublier toute justice aux personnes dont les principes sont les plus purs ; Ulrike comprit parfaitement la signification de ses paroles. La différence de leur fortune, l’avenir sans espoir de Lottchen, l’amertume d’une condition pauvre et livrée à un mépris que rien ne justifiait, les sévères jugements qu’un monde léger porte sur les malheureux, passèrent rapidement à travers l’esprit de la veuve au milieu d’une foule de regrets et de souvenirs.

— Tu en jugeras par toi-même, répondit Ulrike avec calme ; et lorsque tu m’auras entendue, je te demande une réponse sincère : je te conjure même, au nom de notre longue et constante amitié, sur laquelle n’est jamais passé un nuage, de me découvrir ton âme, de ne me cacher ni aucune pensée, ni le plus secret de tes désirs.