Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/202

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fille d’une condition moyenne ; car, tandis que le défaut de naissance te ferme la porte du château et du palais, une grande fortune te donne le droit de prétendre plus haut qu’une simple bourgeoise. Je voudrais avoir un gendre qui eût de belles espérances, et qui cependant ne fût pas prodigue.

— Ce ne sont pas des qualités faciles à rencontrer, mon bon père, répondit Meta en riant ; — car peu de jeunes filles de son âge entendent faire des conjectures ou des plans pour leur établissement futur, sans une irritation nerveuse qui prend aisément l’apparence de la gaieté. — Le monde me semble divisé en deux classes, ceux qui gagnent et ceux qui dépensent.

— Ou bien, en sages et en fous ; il y a trois ingrédients qui entrent ordinairement dans les mariages des filles de ta condition, et sans lesquels il y a peu d’espérance de bonheur, et sans lesquels aussi on ne peut obtenir le respect : le premier, c’est l’aisance ; le second, le consentement des parents ; et le troisième, l’égalité de condition.

— Je croyais que vous alliez dire quelque chose du goût et de l’inclination, mon père.

— Folies, mon enfant ! tout ce qui est caprice peut changer ; Regarde ce paysan qui cultive les vignes de l’abbaye ; se croit-il moins heureux parce qu’il boit du vin aigre, que s’il se régalait du meilleur vin du Rhin, sorti du cellier du père Boniface ? Et cependant si le manant en avait le choix, ne penserait-il pas que la liqueur d’Hockeim est la seule digne de mouiller ses lèvres ? Cet homme se rendrait misérable s’il se mettait dans la tête qu’il lui faut changer de régime ; mais lorsqu’il est sobre et industrieux, quel est le bourgeois plus heureux que lui ? Oh ! j’ai souvent envié le bonheur de ces coquins lorsque j’étais accablé par des contrariétés ou par des pertes d’argent.

— Et voudrais-tu changer de condition avec ces vignerons, mon père ?

— À quoi penses-tu, jeune fille ? y a-t-il quelque chose qui vaille la fortune sur la terre ? et ceci me ramène à ce que je te disais. Il a été question aujourd’hui de quelques folies, pour ne pas dire présomptions, de la part du jeune Berchthold Hintermayer : on dit qu’il désire unir sa pauvreté à ta fortune.

La tête de Meta se pencha, et son bras, qui entourait la taille de son père, trembla d’une manière visible.