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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/207

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Un profond soupir fut la réponse de la femme du bourgmestre.

— Je connaissais bien le jeune Odo von Ritterstein, continua la vieille matrone, et quoique son extérieur fût agréable et qu’il fût doué d’une manière de s’exprimer séduisante pour tous ceux qui veulent écouter une langue mielleuse, je puis me vanter d’avoir lu dans son âme dès notre première rencontre.

— Tu compris alors un terrible mystère !

— Ce ne fut point un mystère pour une femme de mon âge et de mon expérience. Qu’est-ce que c’est qu’un joli visage, une noble naissance, un air enjoué et un œil hardi, pour une femme qui a eu l’occasion d’observer et qui a vécu longtemps ? Non, non, j’ai lu dans l’âme du jeune Odo comme nos prêtres lisent dans leur missel. Il ne m’a fallu pour cela qu’un regard.

— Il est surprenant qu’une personne de ta condition ait si promptement et si bien compris ce que tant de personnes ont trouvé inexplicable : tu sais qu’il fut longtemps bien accueilli chez mes parents ?

— Et par vous, Ulrike ; et cela prouve la différence des opinions. Je n’ai pas été trompée un seul jour, pas une seule heure, sur son caractère. Que m’importait son nom ? On disait qu’il avait des croisés parmi ses ancêtres, et que ses aïeux avaient été sous un ciel brûlant et dans une terre lointaine pour délivrer le saint sépulcre ; mais je ne voulais rien entendre de tout cela ; je voyais l’homme avec mes propres yeux, et je le jugeai avec mon propre jugement.

— Tu voyais un homme dont les manières n’avaient rien que de distingué.

— Ainsi pensaient les personnes jeunes et légères ; je ne nie pas que son physique fût agréable, c’était le bon plaisir du Ciel. Je ne dis rien non plus contre son adresse dans les exercices du corps, et toutes les autres qualités qu’on estime dans un chevalier, car je ne bats point un ennemi à terre ; mais il avait des manières ! — Tenez, la première fois qu’il vint rendre visite à votre père, il parut en présence du digne bourgmestre comme s’il avait été l’électeur, au lieu d’un simple baron ; et bien que je fusse debout, attendant pour lui faire la révérence comme il convenait à son rang et à mon éducation, et cela arriva bien souvent, je n’obtins pas un regard favorable, pas un remerciement pas un regard de condescendance pour toutes mes peines.