Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/219

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bonde. Quelque puissance dans le pays et de fortes amendes sauvèrent mes domaines, qu’une vie de pèlerin et de soldat ont beaucoup augmentés ; mais jamais, jusqu’à l’été dernier, je n’ai senti le courage d’aller revoir les lieux où ma jeunesse s’est écoulée.

— Quels pays parcourûtes-vous, Odo ?

— J’ai cherché un soulagement à mes maux dans toutes les positions de la vie : dans la gaieté et les dissipations des capitales ; au fond des ermitages, car celui-ci est le quatrième que j’occupe ; dans les armes, au milieu des hasards de la mer. Dernièrement, j’ai combattu pour la défense de Rhodes, ce malheureux boulevard de la chrétienté. Mais partout où je me suis arrêté, dans tous les travaux que j’ai entrepris, le souvenir de mon crime et de mon châtiment m’a poursuivi. Ulrike, je suis un homme voué au malheur !

— Cher Odo, Dieu est miséricordieux pour de plus grands coupables encore. Vous retournerez dans votre château depuis si longtemps abandonné, et vous y vivrez en paix.

— Et vous, Ulrike, mon crime vous a-t-il causé de la douleur ? Vous au moins vous êtes heureuse ?

Cette question causa à la femme de Heinrich Frey beaucoup de malaise. Ses sentiments pour Odo de Ritterstein avaient participé de la passion, et ils étaient encore revêtus des prestiges de l’imagination, tandis que son attachement pour le bourgmestre tenait du devoir et de l’habitude. Cependant le temps et la conscience des obligations de son sexe, sa tendresse pour Meta qui était un lien entre elle et son mari, donnaient à ses sentiments le calme qui convenait à sa situation présente. Si sa volonté eût été consultée, elle n’aurait point touché cette corde ; mais puisque cette question lui était adressée, elle sentait la nécessité d’y répondre avec dignité.

— J’ai le bonheur d’avoir un mari honnête et une fille affectionnée, dit-elle ; tranquillisez-vous à ce sujet. Nous n’étions pas destinés l’un à l’autre, Odo ; votre naissance seule était un obstacle que nous n’aurions pu vaincre entièrement.

L’anachorète courba la tête, et parut respecter la réserve d’Ulrike. Le silence qui succéda ne fut pas dépourvu d’embarras ; il fut interrompu par les sons d’une cloche qui vinrent de la montagne de Limbourg. L’anachorète se leva, et tout autre sentiment fut remplacé par un retour subit de ce repentir cuisant qui le