Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/222

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pour faire attention à une pécheresse. Si j’avais été coupable comme bien des personnes qu’on pourrait nommer, ce dédain aurait pu me causer quelque alarme ; mais étant ce que je suis, j’ai plutôt mis cet oubli sur le compte de mon mérite que sur autre chose. Non, je n’ai vu que l’ermite.

— Alors, tu as vu le malheureux Odo de Ritterstein !

Ilse recula avec effroi.

— Avons-nous reçu un loup dans la bergerie ? s’écria-t-elle enfin lorsque l’usage de la parole lui fut rendu. Tout le Palatinat s’est-il agenouillé, a-t-il pleuré et prié aux pieds d’un pécheur comme nous, que dis-je ? bien pire que nous ! Ce qui a passé pour de l’or pur n’est-il qu’un vil métal, notre ferveur de l’hypocrisie, nos espérances de trompeuses illusions, notre sainte fierté de l’orgueil !

— Tu as vu Odo de Ritterstein, Ilse, reprit Ulrike en se levant, et tu as vu un saint homme.

Et, donnant son bras à la nourrice, car c’était celle qui avait le plus besoin d’assistance, Ulrike s’éloigna de la hutte. Tandis qu’elles marchaient à travers les murs en ruine du camp abandonné, Ulrike essaya d’amener sa compagne à juger les fautes de l’ermite avec moins de rigueur. Cette tâche n’était pas facile, car Ilse s’était habituée à penser qu’odo était un homme abandonné de Dieu, et l’on ne se débarrasse pas en un moment des opinions qu’on a conservées soigneusement pendant vingt ans. Cependant il arrive quelquefois que l’esprit humain rend plus que justice, lorsque ses préjugés sont éteints. C’est par cette espèce de réaction que nous voyons les mêmes individus qui ont été réprouvés comme des monstres être ensuite admirés comme des héros. Nous tenons rarement une juste balance dans nos applaudissements excessifs ou dans nos excessives condamnations.

Nous ne voulons pas dire néanmoins que les sentiments d’Ilse à l’égard de l’anachorète subirent ce changement violent de la haine au respect ; car tout ce qu’Ulrike put obtenir en faveur du solitaire, ce fut d’admettre qu’il était dans la classe de ces pêcheurs pour le salut desquels tous les bons chrétiens pouvaient, sans se compromettre, dire un Ave. Cette faible concession d’Ilse suffit à sa maîtresse, dont tout le désir était de suivre l’ermite à l’église de l’abbaye, afin de s’agenouiller devant les autels et de mêler ses prières à celles du pénitent, pour implorer