Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proportions presque égales dans ses veines. Il n’avait pas besoin de chercher bien loin pour trouver parmi ses ancêtres le paisible compagnon de Penn, le huguenot, le cavalier, le presbytérien, le sectateur de Luther ou de Calvin. Le hasard avait encore augmenté la ressemblance ; car, voyageant depuis son enfance, il mêlait toutes les langues en commentant gaiement sa récente découverte. La suite de pensées que cette distraction m’occasionna était naturelle. Elle embrassait le long mystère dans lequel le continent si vaste de l’Amérique avait été enveloppé aux yeux de l’homme civilisé ; sa découverte, l’établissement qu’on y fit, la manière par laquelle la violence, la persécution, les guerres civiles, l’oppression, l’injustice, avaient jeté des hommes de toutes les nations sur ses rivages ; les effets de ce choc de coutumes et d’opinions dépouillées par l’habitude et les lois de leur origine égoïste ; la liberté civile et religieuse qui s’ensuit ; le principe nouveau, mais irrécusable, sur lequel son gouvernement fut basé ; les progrès silencieux de son exemple dans les deux hémisphères, l’un avant déjà imité les instructions dont l’autre essayait d’approcher, et les immenses résultats qui dérivaient de ce grand et incalculable décret de la Providence. Je ne sais en vérité si mes pensées n’auraient pas approché du sublime, si Christian Kinzel ne les eût interrompues en montrant l’endroit où le diable, dans sa colère, avait donné un coup de pied.

Descendant du sommet, nous prîmes le chemin de Duerckheim.

Tout en marchant, Kinzel fit plus d’une remarque philosophique, qui était principalement inspirée par la misérable condition d’un homme travaillant beaucoup et mangeant peu. Sous le point de vue de sa position particulière, le travail était à trop bon marché, et le vin ainsi que les pommes de terre trop chers. Jusqu’à quelle profondeur eût-il poussé des réflexions si naturelles, je l’ignore, si l’enfant n’eût pas élevé quelques doutes sur la longueur reconnue de la queue du diable. Il avait visité le Jardin des Plantes à Paris, vu le kangourou dans le jardin zoologique à Londres, et connaissait par leurs noms les habitants de diverses ménageries ambulantes qu’il avait vues à Rome, Naples, Dresde, et autres capitales ; il était presque ami avec les ours de Berne, qu’il avait souvent visités. Ayant ainsi une idée vague de l’analogie des choses, il ne pouvait se rappeler aucun animal assez amplement pourvu d’un prolongement de la colonne verté-