Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/22

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rayons de cette éternelle vérité qui dérive de la nature. Je me représentais aussi les Romains, avec leurs dieux, passions et vertus divinisées ; leur philosophie ingénieuse, leurs arts nombreux et empruntés à la Grèce, leur force calculée et accablante, leur amour de la magnificence si grand dans ses effets, mais si sordide et si injuste dans ses moyens, et par dessus tout cette ambition insatiable qui vit s’abîmer ses espérances sur la mer de sa propre grandeur, et prouva par sa chute la fausseté de son système. Les souvenirs qui m’entouraient me montraient les moyens par lesquels Rome conquit et perdit son pouvoir. Le barbare avait appris à l’école sévère de l’expérience à reconquérir ses droits ; et, dans l’exaltation que me causaient ces souvenirs, il ne m’était pas difficile de me représenter les Huns se précipitant dans le Camp, et calculant leur chance de succès par les vestiges qu’avaient laissés le génie et les ressources de leurs ennemis.

La confusion des images obscures qui succédèrent était un véritable emblème du siècle suivant ; sortant de cette obscurité, après le long et glorieux règne de Charlemagne, le château baronial s’éleva avec sa violence féodale et ses injustices. Puis vint l’abbaye entée sur cette religion douce et souffrante, qui parut sur la terre comme un rayon du soleil éclipsant la clarté factice d’une scène dont la lumière naturelle avait été exclue. Là éclata cette lutte égoïste et longue entre des principes antagonistes, et qui n’a point encore cessé : le combat entre le pouvoir de la science et le pouvoir de la force physique. Le premier, qui n’était ni pur ni parfait, descendait au subterfuge et à la fraude, tandis que le second hésitait entre la crainte des causes inconnues et l’amour de la domination. Le moine et le baron devinrent ennemis ; celui-ci se méfiant secrètement de la foi qu’il professait, celui-là tremblant des conséquences du coup que sa propre épée avait porté, effet de trop de science dans l’un et de trop d’ignorance dans l’autre, tandis que tous les deux étaient la proie de cette ennemie insatiable du genre humain, l’ambition.

Un éclat de rire de l’enfant attira mon attention au bas du rocher. Il venait avec Christian Kinzel, et à leur mutuelle satisfaction, de trouver la place précise qu’avait occupée la queue du diable. Cet enfant était le meilleur emblème de l’Amérique qu’on eût pu trouver sur l’immense surface de son pays. Après le sang anglais ou saxon, le sang français, suédois et hollandais coulait en