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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/232

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très-honorable bourgmestre, et je n’irai point me laisser aller à un vain babil. Votre Honneur connaît la différence entre un bavard des rues et un homme qui tient boutique.

— Fais ce que tu voudras ; mais je ne prétends pas être le seul qui fasse ce raisonnement ; car il y a beaucoup de bons citoyens, d’hommes notables, et même d’hommes d’état, qui ont beaucoup d’idées semblables.

— Ma foi ! il est bien heureux que Dieu ne nous ait pas tous doués de la même intelligence ; car alors il y aurait eu une égalité vraiment déraisonnable, et l’on aurait vu arriver aux honneurs des gens qui n’y étaient nullement propres. Mais maintenant que vous m’avez expliqué si clairement vos raisons, auriez-vous la bonté, mon bourgmestre, pour charmer l’ennui de la marche, d’en faire l’application à l’entreprise qui nous occupe ?

— C’est très-facile ; car il n’y a point de tour dans le Palatinat qui frappe plus les yeux. Voilà Limbourg d’un côté, et Duerckheim de l’autre ; communes rivales sous le rapport des intérêts et des espérances, et par conséquent peu disposées à se faire grâce l’une à l’autre. La nature, qui est un grand maître dans toutes les questions où il s’agit de décider ce qui est juste ou injuste, dit que Duerckheim ne nuira pas à Limbourg, ni Limbourg à Duerckheim. — Est-ce clair ?

Himmel ! clair comme la flamme d’une fournaise, mon bourgmestre.

— Or, maintenant qu’il est bien établi que personne ne doit se mêler des affaires de son voisin, nous cédons à la nécessité, et nous prenons les armes pour empêcher Limbourg de porter atteinte à un principe que tous les hommes justes regardent comme inviolable. Vous apercevez la subtilité : nous avouons que l’argument que nous mettons en avant pour justifier notre entreprise est faible, raison de plus pour que l’exécution soit vigoureuse. Nous ne sommes pas des fous, pour aller bouleverser un principe afin d’arriver à nos fins ; mais cependant il faut bien veiller à ses intérêts, et ce que nous faisons est sous toute réserve de doctrine.

— Voilà qui soulage mon âme d’un poids énorme ! s’écria le forgeron qui avait écouté avec cette attention sérieuse qui dénote la bonne foi ; rien ne saurait être plus juste, et malheur à celui qui dirait le contraire, tant que mon dos portera le harnais !