Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/245

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d’artisans, troupe d’élite qui, pendant tout le cours de cette nuit mémorable, ne quitta pas un instant les deux chefs, comme si elle eût été choisie pour remplir ce devoir particulier.

Le silence lugubre qui avait rendu si imposants les aborda de la caserne, régnait également autour de la chapelle. Mais maintenant les vainqueurs marchaient contre un ennemi différent. Le pouvoir mystérieux de l’Église étendait encore sa redoutable influence sur presque tous les esprits. Des dissidents avaient proféré des paroles hardies, et, dans cette contrée, l’opinion publique commençait à se prononcer contre l’église romaine ; mais il n’est pas facile de détruire par les seuls efforts de la raison les profondes racines jetées par l’habitude. À cette heure même, nous voyons le monde civilisé presque tout entier commettre mettre des injustices grossières, évidentes ; et si nous pénétrons jusqu’au fond de leurs arguments, ne trouver guère rien de mieux pour les colorer, que de prétexter la dépravation du goût provenant de pratiques qui elles-mêmes ne sauraient admettre de justification plausible. Les effets vicieux de chaque système sont présentés comme autant d’arguments en faveur de son maintien ; car tout changement semble toujours, et est parfois un plus grand mal que le mal existant ; et des millions d’hommes sont condamnés à rester dans un état de dégradation et d’ignorance parce que leur triste partage a été d’être mis, par les chances précaires de la vie, au ban de la société. C’est ainsi que l’erreur engendre l’erreur, jusqu’à ce qu’enfin la philosophie et la justice elle-même se contentent de faire de timides essais pour pallier un mal qu’un traitement plus franc et plus hardi pourrait guérir radicalement. On ne sera donc pas surpris qu’Heinrich et Berchthold éprouvassent de violents scrupules sur le mérite de leur entreprise, à mesure qu’ils approchaient de la chapelle. Jamais peut-être un homme n’a devancé son siècle sans se défier parfois de ses propres principes ; et il est certain que Luther lui-même fut souvent obligé de combattre des doutes qui l’obsédaient. Néanmoins Berchthold était moins troublé que son compagnon, car il agissait sous les ordres d’un supérieur, et il était tout à la fois plus jeune et plus instruit que le bourgmestre. Il suffisait de la première de ces circonstances pour le décharger du fardeau de la responsabilité, tandis que l’autre, en affaiblissant l’influence de ses premières opinions, donnait une nouvelle force à celles qu’il avait embrassées. En un