Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/246

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mot, il y avait entre Heinrich et Berchthold cette différence que tout le monde a dû remarquer, dans ce siècle éminemment progressif, entre celui qui a hérité des idées d’une génération qui n’est plus, et l’homme qui a pris celles de ses contemporains. Le jeune forestier n’était qu’un enfant lorsque la voix du réformateur s’était fait entendre pour la première fois en Allemagne ; et, comme il se trouva demeurer au milieu de gens qui prêtaient une oreille avide à leur nouvelle doctrine, il avait adopté presque tous leurs motifs de dissentiments, sans être presque exposé à l’influence d’une opinion contraire. C’est avec cette gradation que s’effectuent presque tous les changements salutaires, puisque ceux qui en sentent les premiers la nécessité peuvent rarement faire plus que d’arrêter les progrès de l’habitude ; laissant à leurs successeurs le soin de refouler le torrent et de lui faire prendre une nouvelle direction.

En pensant que Wilhelm de Venloo serait le premier à abandonner son poste, dans ce moment de tumulte et de danger, les chefs des assiégeants lui faisaient injure, car, quoique peu disposé à courir les risques ou à ambitionner les honneurs du martyre, l’abbé était au-dessus de l’influence de passions aussi abjectes ; et s’il ne se possédait pas assez pour maîtriser ses vices, il avait du moins une élévation d’esprit qui, dans les circonstances difficiles, vient au secours de celui qui a le bonheur d’en être doué. Lors donc que Heinrich et Berchthold entrèrent dans l’église, ils trouvèrent tous les moines rangés dans le chœur, attendant, comme les sénateurs romains, qu’on vînt les frapper tous ensemble dans l’exercice de leur sacré ministère. Il y avait peut-être autant d’adresse que de magnanimité dans la résolution que Boniface avait prise ; car en entrant dans la chapelle, le contraste qu’offraient le calme et le recueillement qui y régnaient, avec les scènes de brutalité et de violence dont ils venaient d’être témoins, ne pouvait manquer de faire une profonde impression sur les agresseurs.

Les cierges brillaient encore sur l’autel, les lampes jetaient leur clarté vacillante sur l’architecture déliée et sur les riches ornements des chapelles, tandis qu’à voir toutes ces figures pâles, toutes ces têtes tonsurées qui étaient à l’entour, on eût dit autant de sentinelles sacrées, placées près du tabernacle pour le préserver de toute souillure. Chaque moine était dans sa stalle, à l’exception du prieur et du père Johan, qui s’étaient placés sur les