Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marches de l’autel ; le premier, comme prêtre officiant de la dernière messe, et le second par suite de son caractère fougueux et toujours outré, qui l’avait poussé à poser sa personne comme un bouclier devant l’arche sainte. L’abbé était sur son trône, calme, immobile, quoique cependant on pût lire sur son front hautain l’expression d’une colère profonde et concentrée.

Le bourgmestre et Berchthold firent signe à leurs compagnons de rester sous les ailes de l’église, et ils avancèrent seuls dans le chœur. Ils avaient tous deux la tête découverte. Aucun mouvement ne se manifesta parmi les moines, pendant qu’ils traversaient la nef à pas lents. Tous les yeux semblaient attachés par un charme commun, sur le crucifix d’ivoire orné de pierres précieuses qui était sur l’autel. Le sang d’Heinrich se glaça sous l’influence de ce calme solennel, et lorsqu’il arriva aux marches de l’autel, où il se trouva en face de l’abbé et du prieur, dont l’un lui inspirait autant de crainte que de haine, tandis qu’il avait pour l’autre un amour et un respect véritables, la résolution de l’honnête bourgmestre était sensiblement ébranlée.

— Qui es-tu ? demanda Boniface, voyant à l’air d’indécision et de trouble du magistrat que c’était l’instant le plus favorable pour lui adresser la parole.

— Par saint Benoît, il me semble que mon visage n’est pas étranger dans Limbourg, très-saint abbé, répondit Heinrich, faisant un effort pour imiter le sang-froid du bénédictin, quoique cet effort ne fût sensible que pour lui ; bien que je n’aie ni la tonsure ni la sainteté d’un moine, je suis assez connu de tous ceux qui habitent à Duerckheim ou dans les environs.

— En effet, j’aurais dû dire, qu’es-tu ? ton nom et tes qualités me sont connus, Heinrich Frey ; mais à quel titre te permets-tu maintenant d’entrer dans l’église de Limbourg, et de montrer ce manque de respect pour nos autels ?

— Pour vous parler franchement, révérend Boniface, c’est en qualité de premier magistrat de Duerckheim, cette ville si froissée dans ses intérêts, si longtemps outragée, qui est fatiguée de l’orgueil et des exactions des moines, et qui s’est enfin chargée de se faire justice elle-même, que je parais devant vous. Vous ne voyez pas ici des citoyens paisibles, réunis pour dire des prières ou pour chanter des hymnes, mais des gens armés, bien décidés à délivrer à jamais le pays du fléau qui l’opprime.