Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/258

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À cette parole, le fier baron, qui avait alors recouvré tout son courage, se retourna tout à coup en portant la main sur son épée. Mais il la laissa retomber aussitôt, et ses traits reprirent leur expression de doute et d’anxiété, à la vue du spectacle qui s’offrit alors à lui.

Dans ce moment, tous les édifices qui composaient l’abbaye de Limbourg, à l’exception de l’église et de ses dépendances immédiates, étaient en feu. Aussi les flots de lumière qui pénétraient dans l’intérieur de la chapelle s’étaient-ils accrus au point d’en éclairer les profondeurs les plus obscures. Le chœur, surtout, en était inondé, et jamais il n’avait paru plus magnifique au jeune Berchthold que dans cet affreux moment de destruction. Les cierges et les flambeaux du maître-autel ne jetaient plus qu’une lueur terne, tandis que tout autour brillait cette clarté rougeâtre et terrible que répand un immense incendie. Pendant l’instant où Emich s’était tourné vers les gens de sa suite, deux moines étaient sortis de la sacristie, et s’étaient placés sur les marches de l’autel. C’étaient le prieur et le père Johan. Le premier portait un petit crucifix d’ivoire, qu’il baisait de temps en temps, tandis que l’autre déposait à ses pieds un coffre massif et artistement ciselé, assez lourd pour qu’il eût fallu l’aide d’un frère-lai pour l’apporter de l’endroit où il était renfermé.

Les traits doux et expressifs du prieur étaient empreints d’une sainte inquiétude. Son compagnon était dans une agitation extrême, son regard était enflammé comme s’il eût été dévoré de la fièvre ; effet d’un enthousiasme qui provenait du tempérament plus que de la conviction.

Emich éprouva une sorte de malaise à la vue des bénédictins, et il s’avança vers eux, toujours suivi du forestier.

— Parbleu ! vous êtes en retard, bons pères, dit-il en prenant un air d’assurance qu’il était loin d’avoir ; le pieux Boniface est parti depuis assez longtemps ; et, à en juger par son amour pour sa personne, qui a dû lui donner des ailes, je ne doute pas qu’il n’ait déjà descendu la montagne !

— Tu as enfin cédé aux suggestions de Satan, comte de Leiningen ! répondit le prieur ; tu as voulu que cette tache ineffaçable restât sur ton âme.

— Nous ne sommes pas à confesse, pieux Arnolph ; mais nous avions des torts à redresser, et c’est le juste motif de notre cheva-