Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/308

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loin pour faire honneur à notre communauté, ma foi, nous en sommes bien payés, puisque nous sommes parvenus à nous débarrasser d’une autre !

— Courage, en effet, forgeron mon frère, car nous en serons quittes pour quelques génuflexions et quelques coups de discipline que chacun de nous devra se donner sur le dos, après quoi nous nous en irons plus joyeux et plus dispos que nous ne sommes venus.

Les pieux personnages continuèrent à avancer, en s’encourageant l’un l’autre ; mais ils traînaient le pied, et à chaque pas leurs membres lourds et massifs semblaient s’affaisser, semblables en cela à deux bêtes de somme surchargées de graisse. Après eux défilèrent les quatre pèlerins parmi lesquels se trouvaient Gisela et Gottlob. Dans ce groupe la conversation était légère et futile, car la fatigue du corps avait peu d’influence sur la joyeuse insouciance de pareils esprits, surtout dans un moment où ils touchaient de si près au terme de leurs peines. Il n’en était pas de même du groupe qui suivait. Il était composé d’Ulrike et de son amie, et à leur démarche lente et pénible, on voyait que les peines du cœur aggravaient encore chez elles la fatigue de la route.

— Dieu est au milieu de ces montagnes comme il est au milieu de nos plaines, Lottchen ! dit la première, continuant sans doute la conversation. Cette église est son temple, comme l’était celle de Limbourg, et les efforts que l’homme ferait pour l’oublier sur la terre ne seraient pas moins vains que ceux qu’il tenterait pour le détrôner dans le ciel ! Ce qu’il fait est sage, et nous devons nous soumettre à sa volonté !

Les paroles d’Ulrike étaient peut-être plus empreintes de résignation que son accent et ses manières ; car sa voix était tremblante, et ses yeux humides gardaient encore les traces de larmes récentes. Cependant sa douleur, bien qu’amère et profonde, n’annonçait pas l’anéantissement de toute espérance, tandis que les traits abattus de sa compagne, son regard éteint, toute sa personne, en un mot, portaient l’empreinte profonde et fatale d’un éternel désespoir.

— Dieu est au milieu de ces montagnes ! répéta machinalement Lottchen sans paraître attacher de sens à ces paroles qu’elle avait à peine entendues ; Dieu est au milieu de ces montagnes !