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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/340

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dévots. Cependant la salle était décorée aussi bien que le permettaient les habitudes grossières du siècle dans la position solitaire du lieu, habitudes qui constituaient davantage la partie substantielle des jouissances humaines que ces inventions efféminées que l’usage a rendues depuis presque indispensables aux générations suivantes. Le plancher de tuiles ou de briques n’était pas très-uni, les murs étaient recouverts de boiseries de chêne, et le plafond avait la prétention de représenter le souper des noces de Cana et le miracle de l’eau changée en vin. Bien qu’on fût au milieu de l’été, un bon feu brillait dans la vaste cheminée. La dimension de l’appartement et l’air vif de la montagne rendaient un tel auxiliaire non seulement agréable, mais nécessaire. La table était large et bien couverte, offrant à l’œil enchanté ces liqueurs saines et généreuses qui augmentent depuis si longtemps l’estime que les voyageurs de bon goût éprouvent pour le Rhin.

Autour de cette table on voyait l’abbé, son confrère Boniface, un ou deux favoris de la communauté d’Einsiedlen, Emich, le chevalier de Rhodes, M. Latouche, Heinrich Frey et le forgeron. Les premiers avaient l’habit de leur ordre, tandis que les autres étaient confondus, quant à l’extérieur du moins, par leur habit de pèlerin. Dietrich devait cet honneur inusité à la circonstance fortuite de se trouver en si bonne compagnie, privée des marques ordinaires de son rang. Si Boniface connaissait la classe à laquelle il appartenait, l’indifférence ou la politique l’empêchait de le laisser voir.

Si un étranger avait été soudainement introduit au milieu de cette scène, il eût à peine reconnu les pénitents fatigués et les sévères religieux, au milieu de ce repas joyeux, et à la bonne harmonie qui régnait entre les convives. L’appétit était déjà plus que satisfait, et plus d’un verre avait été bu en honneur des hôtes et des pèlerins, avant le moment précis où nous reprenons le fil de cette histoire.

Le prince abbé occupait le siège d’honneur, comme il convenait à son rang, tandis que Boniface était assis à un de ses côtés, et le comte d’Hartenbourrg de l’autre. La grande considération due au premier, aussi bien que son caractère personnel et la douceur de ses manières, avait conservé la paix et une sorte de politesse entre ses deux voisins, et ils n’avaient encore donné ni l’un ni l’autre