Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/386

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qui avait été laissé, comme avant les derniers événements, en possession du redoutable Heidenmauer.

Un autre homme autrement constitué que Heinrich aurait pu, dans un pareil moment, écouter cette requête avec défiance. Mais, fort de sa bonne opinion de lui-même, et habitué à se fier à sa femme, l’obstiné bourgmestre envisagea cette demande comme un moyen d’échapper à la discussion ; car, quoiqu’il ne sût trop comment défendre son opinion d’une manière plausible, il était résolu à ne pas céder. La manière dont il consentit à accompagner sa femme, et à attendre patiemment son retour, ainsi que le commencement de sa conversation avec Emich, sont connus du lecteur. Cette explication terminée, nous pénétrons dans la hutte de l’anachorète.

Odo de Ritterstein était pâle par suite de la perte de son sang et des blessures que lui avait faites la chute d’un fragment de toit enflammé, mais plus pâle encore par la force du feu intérieur qui le consumait. Les traits de la belle et douce Ulrike n’étaient pas aussi animés qu’à l’ordinaire, quoique rien ne pût lui ravir cette beauté séduisante qui puisait son plus grand charme dans son expression. Tous les deux paraissaient agités de ce qui s’était déjà passé entre eux, et peut-être plus encore par les sentiments qu’ils avaient essayé de cacher.

— Il y a en en effet bien des moments intéressants dans votre vie, Odo, dit Ulrike, qui écoutait probablement un récit que lui faisait l’ermite ; et dernièrement, avoir échappé si miraculeusement à la mort, ce n’est pas un des incidents les moins frappants de votre existence.

— Si j’avais péri sous le toit de Limbourg, la nuit anniversaire de mon crime, écrasé sous la chute de ces autels que j’ai violés, c’eût été une si juste manifestation du courroux du ciel, Ulrike, que je m’étonne aujourd’hui que ce ciel m’ait permis de vivre ! Vous croyiez alors comme tout le monde que j’avais été délivré de cette vie de misère ?

— Vous vous montrez peu reconnaissant de ce que vous pouvez encore espérer, en vous servant d’un terme si peu convenable pour exprimer vos douleurs. Souvenez-vous, Odo, que nos joies dans ce monde sont corrompues par la pensée de la mort, et que votre malheur n’est pas plus grand que celui de mille autres qui combattent avec leur devoir.