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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/46

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substances qui reçoivent le plus facilement les impressions sont celles qui les retiennent le moins, et la persévérance ainsi que la sévérité de caractère, nécessaires aux mortifications et aux privations d’un anachorète, sont moins faciles à trouver parmi les légers et heureux enfants du soleil que parmi les habitants du pays des frimas et des tempêtes.

Quoi qu’on puisse dire de celui qui abandonnait ainsi les plaisirs du monde pour la vie contemplative, il est certain qu’il y avait dans cette manière de vivre de douces récompenses qui n’étaient pas sans attrait pour les esprits mélancoliques, particulièrement pour ceux au fond desquels les germes de l’ambition dormaient plutôt qu’ils n’étaient éteints. Il était rare, en effet, qu’un reclus établi dans un canton simple et religieux, et il en existait peu qui cherchassent une solitude absolue, ne recueillît pas une riche moisson de vénération et d’autorité sur les cœurs naïfs de ses admirateurs. La vanité nous poursuit de sa perfidie jusque dans nos résolutions de vertu ; et celui qui a abandonné le monde dans l’espoir de laisser derrière lui toute impulsion mondaine, retrouve l’ennemi sous une forme nouvelle, jusqu’au milieu de la citadelle qu’il a construite pour sa défense. Il y a peu de mérite et ordinairement aussi peu de sûreté à reculer devant le danger ; et il a beaucoup moins de droit aux honneurs d’un héros, celui qui gagne la victoire par des moyens aussi douteux, que celui qui la remporte parce qu’il a porté un coup mortel à son adversaire. La tâche assignée à l’homme est de faire le bien dans la société de ses semblables, remplissant sa place sur l’échelle de la création, ne renonçant à aucun des devoirs que Dieu lui a imposés ; et il doit être reconnaissant, lorsqu’au milieu du combat perpétuel qu’il soutient, il est aidé par cette puissante intelligence qui préside à l’harmonie de l’univers.

L’anachorète des Cèdres, c’est ainsi que les paysans et les bourgeois de Duerckheim appelaient le solitaire auquel le moine et les deux jeunes gens allaient rendre visite, avait paru dans le Bingmauer environ six mois avant l’époque où commence cette histoire. D’où il venait, combien de temps il avait l’intention de rester, et quelle avait été sa manière de vivre jusqu’alors, étaient des faits également inconnus à tous ceux parmi lesquels il choisit si subitement sa demeure. Personne ne l’avait vu arriver, et personne ne pouvait dire non plus d’où provenaient le peu de meu-