Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/53

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peu à peu de son compagnon comme un homme qui veut parler confidentiellement, puisque tu nommes Duerckheim, pourrais-tu me dire quelle est l’opinion des habitants de cette ville sur les contestations qui existent entre notre saint abbé et lord Emich d’Hartenbourg ?

— S’il fallait vous dire, mon père, ce que je pense au fond du cœur, je vous avouerais que les bourgeois désirent voir cette affaire terminée, de manière à ne laisser aucun doute dans la suite sur le parti auquel ils doivent obéissance et amour ; car ils trouvent qu’il est un peu dur, malgré leur zèle, de rendre des services à tous les deux.

— On ne peut servir Dieu et Mammon, mon fils ; c’est ainsi que l’a dit celui qui ne peut tromper.

— Et il a raison, révérend moine. Mais, pour parler du fond de mon âme, je crois qu’il n’y a pas un homme dans Duerckheim qui se croie assez instruit pour décider qui est Dieu et qui est Mammon !

— Quoi ! mettent-ils en doute notre mission sacrée, notre mission divine ? Ne sait-on pas qui nous sommes ?

— Personne n’est assez hardi pour dire que les moines de Limbourg sont ce qu’ils sont : ce serait une irrévérence envers l’Église, et ce serait inconvenant à l’égard du père Siegfried. Tout ce que nous osons nous permettre de dire, c’est qu’ils semblent être ce qu’ils sont ; et cela n’est pas peu de chose, en considérant la manière dont vont les affaires en ce monde. Fais semblant, Gottlob, me disait mon pauvre père, et tu échapperas à l’envie de tes ennemis ; car, dans ce semblant, il n’y a rien qui alarme les autres ; c’est seulement lorsqu’un homme est la chose elle-même, qu’on commence à le trouver en faute. Si tu désires vivre paisiblement avec tes voisins, ne va jamais au delà du semblant car c’est tout ce que les autres peuvent supporter, puisque tout le monde peut faire semblant ; tandis qu’être une chose met quelquefois tout un village en révolution. C’est étonnant la vertu qu’il y a à faire semblant, et toutes les jalousies, le scandale et les querelles qui résultent lorsque l’on est véritablement ce que les autres semblent être. Non, tout ce que nous osons dire à Duerckheim, c’est que les moines de Limbourg semblent être des hommes de Dieu.

— Et le comte Emich ?