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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/58

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— Si le comte Emich avait vent de cette affaire, il ne me laisserait serait pas une oreille pour écouter vos saints conseils.

— Agis avec ta prudence habituelle, et on ne soupçonnera pas une personne de ta sorte. N’as-tu aucune facilité d’entrer dans le château ?

— Il serait facile de trouver un millier de prétextes : je puis dire que je désire consulter le gardeur de bestiaux de lord Emich sur son habileté à guérir les maladies des animaux, ou je puis prétendre désirer de changer de service ; enfin, il ne manque pas de gaies demoiselles dans la forteresse.

— Assez. Tu es celui, Gottlob, auquel j’ai pensé continuellement depuis quinze jours. Rentre chez toi, sers notre cause, et viens me trouver à l’abbaye demain après la messe.

— Cela peut être suffisant pour ce qui regarde le ciel, mais les gens prudents ne doivent pas oublier leurs affaires temporelles : dois-je risquer mes oreilles, compromettre ma réputation et négliger mon troupeau sans motif ?

— Tu serviras l’Église, mon fils ; tu obtiendras les bonnes grâces de notre révérend abbé, et ton courage et ton habileté ne seront pas oubliés aux prochaines indulgences.

— Je sais bien que je servirai l’Église, et c’est un privilège dont un vacher doit être fier. Mais en servant l’Église je me ferai des ennemis sur la terre, par deux bonnes raisons. Premièrement, parce que l’Église n’est pas en très-grande vénération dans la vallée ; secondement, parce que les hommes n’aiment jamais ceux qui valent mieux qu’eux. — Gottlob, avait l’habitude de me dire mon excellent père, parais avec tout le monde certain de ton indignité ; après quoi tu pourras être véritablement ce que tu sembles être. C’est à cette condition que la vertu vit en paix parmi les hommes. Mais si tu veux avoir le respect de tes semblables, ajoutait-il, mets un haut prix à tout ce que tu fais ; car le monde ne te saura aucun gré de ton désintéressement, et si tu travailles pour rien, il croira que tu ne mérites rien. Non, ajoutait-il encore en secouant la tête, ce qu’on obtient aisément est évalué fort peu, tandis que les hommes attachent du prix à ce qui leur coûte beaucoup.

— Ton père te ressemblait, il pensait à sa fortune ; mais tu sais que nous autres habitants des cellules, nous ne portons point d’argent avec nous.