Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/69

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Dans le siècle où se passe cette histoire, la civilisation n’avait pas fait des progrès suffisants pour élever les esprits ordinaires au-dessus de la croyance à la nécromancie. Les hommes ne consultaient plus les entrailles des animaux, afin d’apprendre les arrêts du destin, mais ils se livraient souvent à des croyances aussi ridicules, et il y en avait peu qui fussent capables de séparer la piété de la superstition et les desseins de la Providence des intérêts insignifiants de l’égoïsme. Il n’est donc pas surprenant que Berchthold et Méta regardassent l’intérêt singulier que leur portait l’ermite comme un présage heureux pour leurs communes espérances ; communes, car quoique la jeune fille n’eût pas oublié la réserve qu’elle jugeait nécessaire à son sexe, jusqu’à avouer tout ce qu’elle éprouvait, cet instinct subtil qui unit les cœurs jeunes et innocents leur laissait peu de doute à tous deux sur leur inclination mutuelle.

La vieille Ilse eut donc tout le temps de se livrer au repos après la fatigue qu’elle avait éprouvée à gravir la montagne. Lorsque Méta la réveilla enfin, la bonne femme fit une exclamation de surprise, se récriant sur la brièveté de l’entrevue avec l’ermite, car la pesanteur de son sommeil la laissait dans une complète ignorance de l’arrivée et du départ de Berchthold.

— Il n’y a qu’un moment, chère Méta, que nous sommes arrivées sur la montagne, dit-elle, et je crains que tu n’aies pas donné assez de temps aux conseils du saint homme. Il ne faut pas rejeter une liqueur saine parce qu’elle est amère à la bouche, mais il faut avaler jusqu’à la dernière goutte, lorsque la santé se trouve au fond de la coupe. As-tu été franche avec l’ermite, et lui as-tu raconté toutes tes fautes ?

— Tu oublies, Ilse, que l’ermite n’a pas même la tonsure, et ne peut donner l’absolution.

— Eh ! eh ! je n’en sais rien ; un ermite est un homme de Dieu, et un homme de Dieu est saint ; tout chrétien peut et doit pardonner. Et quant à la confession, je préfère un reclus plein du renoncement de lui-même, qui passe son temps à prier et à mortifier son âme et son corps, à tous les moines de Limbourg ; il y a plus de vertu dans la bénédiction d’un tel homme que dans une douzaine, que dans une cinquantaine de bénédictions d’un abbé libertin.

— J’ai eu sa bénédiction, nourrice.