Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/8

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qui se présentait à nos yeux, et cependant assez vite pour éviter les ennuis de la satiété. Là, nous rencontrâmes des soldats prussiens, préparés par des combats simulés aux devoirs plus sérieux de leur profession. Des lanciers galopaient en corps dans les plaines, des vedettes étaient placées, le pistolet armé en main, à toutes les meules de foin, tandis que des courriers pressaient de l’éperon leurs montures, et couraient d’un point à un autre, comme si la grande lutte qui se prépare d’une manière si menaçante, et qui tôt ou tard doit avoir lieu, était déjà commencée. Comme l’Europe est maintenant un camp, ces scènes guerrières attirent à peine un regard : nous cherchions d’autres points de vue, ceux que la nature déploie dans les plus heureux instants.

Nous apercevions des châteaux ruinés par vingtaines, des forteresses grisâtres ; des abbayes, quelques-unes désertes, d’autres encore occupées ; des villages, des villes ; les sept montagnes ; des rochers et des vignes. À chaque pas, nous sentions combien la poésie de la nature et celle de l’art sont intimement liées, entre la hauteur avec sa tourelle en ruine, et le sentiment moral qui leur prête de l’intérêt. Là, on voyait une île qui n’avait rien d’extraordinaire, mais les murs d’un couvent du moyen-âge couvraient sa surface de leurs ruines. On apercevait un roc nu, destitué de grandeur, et manquant de ces teintes que donnent des climats plus doux ; mais une baronnie féodale chancelait sur son sommet. Ici César conduisit ses légions sur le fleuve, et là Napoléon jeta son corps d’armée sur le rivage ennemi ; ce monument fut érigé à la mémoire de Hoche, et de cette terrasse le grand Gustave-Adolphe dirigea ses bataillons. Notre pays[1] est trop jeune pour présenter un grand nombre de cités historiques, et celles que nous possédons manquent encore de cette teinte indéfinissable que donne une époque reculée.

Bemplis des sentiments que peut créer la vue d’un fleuve aussi rempli de souvenirs, nous continuâmes notre chemin sur le bord méridional de cette grande artère de l’Europe centrale. Nous nous étonnâmes de la solitude du Rheinfels, nous admirâmes la rare magnificence des ruines de l’église de Baccara, et nous nous étonnâmes du précipice étourdissant sur lequel un prince de Prusse demeure encore maintenant avec la sécurité et la hardiesse d’un

  1. L’Amérique. Dans le cours de cet ouvrage, l’auteur établit différentes comparaisons entre le pays qu’il décrit et le sien.