Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/80

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vos moines de la montagne, nous autres chevaliers de Saint-Jean, nous faisons serment de pratiquer un aussi bon nombre de vertus. Laissez-moi voir, ajouta-t-il en comptant sur ses doigts avec un air de hardiesse licencieuse : nous sommes voués d’abord au célibat ainsi que vos bénédictins, puis à la chasteté de même que vos moines de Limbourg ; nous respectons nos serments comme votre père Boniface ; l’un et l’autre nous sommes serviteurs de la sainte croix (par une influence singulière de ce mot, l’orateur et le comte firent le signe sacré sur leur poitrine) ; et, soyez-en sûr, j’égalerai les révérends frères. Ils disent que le péché peut s’allier au péché, et un saint doit être l’égal d’un saint. Mais, Emich, tu es plus sérieux que cela ne convient au moment d’une débauche comme celle que nous méditons.

— Tu es élégant comme si tu allais donner un galant festin aux dames de l’île de Rhodes.

Le chevalier de Saint-Jean regarda sa toilette avec complaisance, tout en marchant près de son hôte, qui avait repris sa promenade : il ressemblait au paon qui fait la roue. La remarque du comte était juste, car son parent avait passé plus de temps à sa toilette qu’il n’en mettait ordinairement en l’absence des femmes dans ce château fort : ressemblant peu au sévère Emich, qui quittait rarement son attirail guerrier, le défenseur de la croix portait un costume très-pacifique, si l’on excepte une longue rapière qui pendait à son côté, et qui, jusqu’à une époque plus reculée, formait une partie indispensable de la toilette d’un gentilhomme. Son pourpoint, décoré de broderies, de ganses, de franges et de boutons, était d’une étoffe orange pâle qui bouffait autour de sa personne avec toute l’ampleur des modes d’alors. Le vêtement inférieur, qu’on voyait à peine, quelque nécessaire qu’il fût, était du même tissu, taillé avec la même prodigalité d’étoffes ; les hauts-de-chausses roses, attachés bien au-dessus du genou, répandaient une nuance de feu sur le reste de la toilette ; il portait des souliers dont le dessus s’élevait jusque sur le devant de la jambe, des boucles qui couvraient le pied ; et son cou, ainsi que ses poignets, étaient entourés d’une profusion de dentelles. La croix, bien connue, de Malte, pendait à un ruban rouge passant par une boutonnière du pourpoint, non pas au-dessus du cœur, comme c’est aujourd’hui la coutume des chevaliers d’Europe, mais, par un goût particulier, elle descendait si bas, qu’elle pouvait prouver,