Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/79

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— Et tous mes vassaux, jeune fille ? on ne trouve pas dans toute l’Allemagne des hommes plus vigoureux et plus utiles au besoin.

— Forts en paroles, et insolents dans leurs regards, Monseigneur ; mais de la plus odieuse compagnie pour tous ceux qui ont une conduite modeste et de bonnes intentions dans le château.

— Tu as été gâtée par une maîtresse trop indulgente, jeune fille, et tu oublies quelquefois toute discrétion. Va voir si mes hôtes sont informés que l’heure du banquet est arrivée, et que je les attends.

Gisela, dont la hardiesse naturelle avait été en quelque sorte augmentée par la trop grande bonté de sa maîtresse, et à qui la conscience d’une beauté plus frappante que celle qui tombe ordinairement en partage aux filles de sa condition, avait donné une liberté de langage qui allait quelquefois jusqu’à la témérité, montra son mécontentement d’une manière assez ordinaire à son sexe, lorsqu’il est indocile et n’a pas eu la discipline d’une bonne éducation ; elle haussa les épaules, ayant soin cependant de remarquer si les regards du comte étaient toujours tournés vers le plancher, secoua la tête, et quitta l’appartement. Le comte Emich retomba dans sa rêverie. Il se passa ainsi plusieurs minutes.

— Rêvant, comme à l’ordinaire, d’escalades et d’excommunication, noble Emich ! s’écria d’une voix gaie un convive qui était entré dans le salon sans être aperçu ; de prêtres vindicatifs, de vasselage, d’abbés tondus, de confessionnaux et de pénitences, de torts redressés, du conclave mécontent, de la cave de l’abbaye, de ton morion, de vengeance, et pour tout résumer en un mot qui cause tout péché mortel, de cet ange déchu, le diable !

Emich répondit par un sourire forcé à ce salut sans cérémonie acceptant néanmoins la main de celui qui venait d’arriver, avec la sincérité d’un bon compagnon.

— Tu es le bienvenu, Albrecht, répondit-il, car le moment est proche où mes saints hôtes vont arriver, et, pour te parler franchement, je ne me sens jamais capable de combattre à armes égales quand il s’agit de lutter d’esprit avec mes pieux coquins ; mais ton soutien me suffira, quand toute l’abbaye serait de la partie.

— Oh ! mais nous pensons marcher de pair, nous fils de saint Jean, avec les bâtards de saint Benoît : quoique plus guerriers que