Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/91

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négligea aucune des politesses d’usage. Il passait souvent un plat ou une coupe au sensuel abbé, tandis que les deux autres religieux, recevaient en même temps les attentions d’Albrecht de Viederbach et de M. Latouche, qui, bien qu’il lui convînt de passer dans le monde pour un homme d’église, n’en tenait pas moins bien sa place à table ou dans une orgie. Lorsque les viandes et les liqueurs généreuses commencèrent à opérer sur les sens des religieux, ils laissèrent insensiblement tomber leur masque, et ils découvrirent les sentiments naturels qu’ils cachaient ordinairement à l’observation.

C’était une règle chez les bénédictins de pratiquer l’hospitalité. Jamais la porte du couvent n’était fermée au voyageur, et celui qui demandait un repas et un abri était certain d’obtenir l’un et l’autre d’une manière qui convenait à sa position dans le monde. La pratique d’une vertu si coûteuse était un prétexte suffisant d’accumuler des richesses, et celui qui voyage maintenant en Europe trouvera de fréquentes preuves qu’on pourvoit abondamment aux moyens d’obéir à cette règle de l’ordre. On voit encore souvent de semblables abbayes dans quelques cantons de la Suisse, en Allemagne, et dans beaucoup d’autres pays catholiques ; mais la privation du pouvoir politique, qui fut transféré graduellement des mains religieuses aux mains laïques, les a depuis longtemps privées de leur plus beau lustre. Beaucoup de ces abbés étaient autrefois princes de l’empire, et plusieurs de ces communautés exerçaient un pouvoir sur ces territoires qui sont devenus depuis des États indépendants.

Tandis que les soins spirituels et les mortifications qu’on croyait devoir caractériser une confrérie de bénédictins étaient spécialement abandonnés à un moine appelé prieur, l’abbé ou le chef de l’établissement présidait non seulement aux affaires temporelles, mais à la table. Cette communication fréquente entre les intérêts vulgaires de la vie, et l’habitude constante de ses plus grossiers plaisirs, convenaient mal à la pratique des vertus monastiques. Nous avons déjà remarqué que cette liaison intime entre les intérêts de ce monde et ceux de l’Église détruit le caractère apostolique. Ce mélange de Dieu et de Mammon, cette manière de convertir la parole révélée du maître de l’univers en un arc-boutant qui soutient le sceptre temporel, quoique l’habitude l’ait rendu depuis longtemps familier aux habitudes de l’ancien hémisphère, et