Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/90

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et qu’on craint même qu’un étranger ne s’empare bientôt du noble château d’Heidelberg. Avez-vous entendu parler de ses dernières défaites, et de la fatalité qui pèse sur sa maison ?

— On a dit des messes pour lui dans toutes nos chapelles, et on y prie journellement pour le succès de ses armes contre ses ennemis. En vertu d’une concession faite à l’abbaye, par notre chef commun à Rome, nous offrons une indulgence libérale à tous ceux qui prennent les armes en sa faveur.

— Vous êtes uni par les liens de l’affection au duc Frédéric, mon père, murmura le comte Emich.

— Nous lui devons tout le respect que chacun doit payer au bras temporel qui le protége ; nous ne devons en réalité foi et hommage qu’au ciel. Mais comment se fait-il qu’un si puissant baron, qu’un guerrier si estimé, et si bien connu pour les entreprises hardies, reste dans son pourpoint lorsque le trône de son souverain chancelle ? Nous avions entendu dire que vous rassembliez vos vassaux, seigneur comte, et nous croyions que c’était dans l’intérêt de l’électeur.

— Depuis quelque temps, Frédéric ne m’a pas donné de grands motifs de l’aimer. Si j’ai appelé mes vassaux près de moi, c’est parce que nous sommes à une époque où chaque noble doit songer à conserver ses droits. Je vis depuis si longtemps avec mon cousin de Viederbach, ce digne chevalier de Saint-Jean, que des pensées martiales se glissent jusque dans la tête de votre paisible voisin et pénitent.

L’abbé s’inclina, et sourit comme un homme qui croit parfaitement les paroles qu’il vient d’entendre ; et la même comédie eut lieu entre le chevalier sans asile, l’abbé français et les frères de Limbourg. Il s’était passé de cette manière quelques minutes, lorsqu’une fanfare de trompettes annonça que le banquet était prêt. Des valets éclaireraient les convives jusqu’à la salle où la table était dressée ; et on observa de grandes cérémonies en assignant à chaque individu la place qui convenait à son rang et à son caractère. Le comte Emich, qui était ordinairement trop brusque et trop sévère pour perdre son temps en politesses superflues, se montrait désireux de plaire, car il avait en vue un projet qu’il savait en danger d’être détruit par les artifices et les ruses des moines. Pendant les préparatifs préliminaires du festin où régnait toute la profusion qui distinguait les repas de cette époque, il ne