Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/139

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de Sigismond, lorsqu’on faisait allusion à ses antécédents ou à sa famille. Cette susceptibilité avait été observée et commentée par d’autres, comme elle l’avait été par Adelheid, et elle avait été généralement attribuée à la mortification d’un homme jeté par le hasard parmi des personnages qui lui étaient supérieurs par la naissance : faiblesse trop commune et à laquelle peu d’hommes ont la force de résister, ou savent opposer une fierté suffisante pour la vaincre. L’affectueuse sollicitude d’Adelheid en tira cependant une conclusion différente. Elle s’aperçut qu’il n’affectait point de cacher l’humble nature de son origine, mais qu’avec un égal bon goût, il s’abstenait d’y faire allusion ; mais elle s’aperçut aussi qu’il y avait des points dans l’histoire de sa jeunesse sur lesquels il était plus discret encore ; elle craignait qu’il ne voulût les oublier, parce que sa conscience les condamnait. Pendant quelque temps Adelheid s’attacha à cette découverte comme à un antidote pour sa faiblesse ; mais la rectitude de son jugement bannit bientôt un soupçon également indigne d’elle et de lui. Ce continuel combat intérieur et l’inutilité de ses efforts avaient, comme nous l’avons déjà dit, altéré la fraîcheur d’Adelheid, et donné une teinte de mélancolie à un visage dont l’expression jusqu’alors avait été aussi douce que souriante. Ce changement fut la seule cause du voyage entrepris par son père, et de la plupart des autres événements que nous allons raconter.

L’aspect de l’avenir avait pris un caractère différent. Des couleurs, qui étaient plutôt l’effet de l’excitation que d’un retour à la santé (car les principes de la vie, lorsqu’ils sont fortement ébranlés, ne reprennent pas leur force à la première lueur de bonheur), brillaient de nouveau sur les joues d’Adelheid, et donnaient à ses yeux un doux éclat ; le sourire errait en même temps sur des lèvres où régnait naguère la mélancolie. Elle se pencha sur le balcon, et jamais auparavant l’air de ces montagnes ne lui avait paru plus pur et plus embaumé. À ce moment l’objet de ses rêveries parut sur la pente verdoyante du château, parmi les noyers qui ombrageaient la prairie. Il la salua respectueusement, et lui montra de la main le magnifique panorama du lac de Genève. Le cœur d’Adelheid battit avec violence. Elle combattit un instant ses craintes et sa fierté puis, pour la première fois de sa vie, elle fit signe à Sigismond de venir la rejoindre.

Malgré l’important service que le jeune soldat avait rendu à la fille du baron de Willading, et la longue intimité qui en avait