Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vallée, et tous saluèrent cette première lueur qui leur annonçait la fin de leurs fatigues, comme un gage de repos, et l’on peut ajouter de sécurité ; car quoique personne, excepté le signor Grimaldi, n’eût pénétré les secrètes inquiétudes de Pierre, il était impossible de se trouver à une heures tardive dans un lieu si désolé et si sauvage, loin de toute communication avec ses semblables, sans se sentir troublé et comme humilié de l’entier assujettissement de l’homme aux décrets éternels de la Providence divine.

On pressa de nouveau la marche des mules, et la pensée de tous les voyageurs se porta avec plaisir vers le repos et les rafraîchissements qui les attendaient sous le toit hospitalier du couvent. Le jour disparaissait des vallons et des ravins avec une rapidité effrayante, et dans leur impatience d’arriver ils gardaient le silence. La pureté excessive de l’atmosphère qui, à cette grande élévation semble tenir plutôt de la nature de l’esprit que de celle du corps, rend les objets, déterminés avec précision et clarté. Mais personne, excepté les montagnards et Sigismond, qui étaient accoutumés à cette déception (cartel est le nom qui convient pour la vérité à ceux qui passent leur vie au milieu des illusions), et qui comprenaient la grandeur de l’échelle sur laquelle la nature a travaillé dans les Alpes, ne savait calculer la distance qui les séparait encore du but de leur course. Il restait encore à gravir plus d’une lieue d’un sentier pénible et pierreux, et cependant Adelheid et Christine laissèrent échapper une légère exclamation de joie quand Pierre, leur montrant, entre les affreux rochers qui les entouraient, un point de la voûte azurée, leur dit qu’il indiquait la position du couvent. On découvrait parfois de petits monceaux des neiges du dernier hiver placés sous l’ombre de roches pendantes, et destinés probablement à braver l’ardeur du soleil jusqu’au retour du nouvel hiver : signe certain qu’ils étaient parvenus à une hauteur bien supérieure à celle des habitations ordinaires de l’homme. Le froid piquant de l’air était une autre preuve de leur situation, car tous les voyageurs ont répété que les moines du Mont-Saint-Bernard vivent au milieu des glaces éternelles, ce qui est presque littéralement vrai.

La petite troupe déployait alors plus d’activité et d’intelligence que dans aucun autre moment de la journée. Le simple voyageur ressemble sous ce rapport à celui qui parcourt la grande route de la vie, et qui se trouve souvent obligé de réparer, par des efforts tardifs et peu proportionnés à son âge, les négligences