Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/278

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et les fautes d’une jeunesse qui, mieux employée, aurait rendu la fin de la course facile et heureuse. Chacun se prêtant au mouvement général, la vitesse de la marche s’augmentait plutôt qu’elle ne diminuait, et Pierre Dumont, les yeux fixés sur le ciel, semblait découvrir à chaque instant de nouveaux motifs de hâter le pas. Les bêtes de somme ne montraient pas tout à fait autant de zèle que le guide, et ceux qui les conduisaient murmuraient déjà de la lenteur de leur marche dans un sentier étroit, inégal et pierreux, qui ne permettait pas toujours aux mules de conserver une allure aussi rapide, lorsqu’une obscurité plus profonde que celle produite par les ombres des rochers se répandit autour d’eux, et l’air se remplit de neige si subitement qu’on aurait pu croire que toutes ses particules venaient d’être condensées par une opération chimique.

Cette révolution de l’atmosphère fut si inattendue et cependant si complète, que tous arrêtèrent leurs montures, et contemplèrent avec plus de surprise et d’admiration que de crainte, les millions de flocons qui s’abattaient sur leurs têtes. Un cri de Pierre vint les tirer de leur extase et les rappeler au sentiment de leur véritable position. Debout sur une petite éminence déjà séparé d’eux par quelques centaines de toises, couvert de neige, il gesticulait avec violence en appelant les voyageurs.

— Pour l’amour de la bienheureuse Vierge ! poussez vos mules, criait-il ; car Pierre, catholique, comme la plupart des habitants du Valais, avait l’habitude de se rappeler ses protecteurs célestes au moment du danger. Animez-les, si vous faites quelque cas de la vie ! Ce n’est pas ici le temps d’admirer ces montagnes ; quoiqu’elles soient sans doute les plus belles et les plus hautes du monde, un Suisse ne perd jamais sa profonde vénération pour ces rochers chéris, mais il vaudrait mieux pour nous qu’elles fussent d’humbles plaines placées sur la terre que d’être ce qu’elles sont. Venez vite, au nom du ciel !

— Tu montres à l’arrivée d’un peu de neige une frayeur inutile et même indiscrète pour un homme qui a besoin de calme, mon ami Pierre, observa le signor Grimaldi, quand les mules s’approchèrent du guide, et s’exprimant avec l’ironie d’un soldat familiarisé avec le péril. Nous autres Italiens, moins habitués aux frimas que ne doivent l’être les montagnards, nous ne sommes pas à beaucoup près aussi troublés que toi, guide du Saint-Bernard !