Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/300

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troisième est un pauvre vigneron venant du Piémont pour exercer son état dans nos vallées de la Suisse ; la mort le surprit dans un sommeil imprudent auquel il s’abandonna probablement à la chute de la nuit. Je trouvai moi-même son corps sur ce roc décharné le lendemain d’un jour où nous avions bu ensemble à Aoste, et je le plaçai de ma main parmi les autres.

— Et ce sont là les funérailles qu’obtient un chrétien dans cette terre inhospitalière ?

— Que voulez-vous, Madame c’est la chance du pauvre et de l’inconnu. Ceux qui ont des amis sont cherchés et retrouvés ; mais ceux qui meurent sans laisser de traces de leur famille ont le sort dont vous avez été témoin. La bêche est inutile parmi les rochers ; puis il vaut mieux qu’un cadavre reste dans un lieu où il puisse être reconnu et réclamé, que d’être placé hors de vue. Les bons pères, et tous ceux qui ont des moyens, sont descendus dans les vallées et enterrés décemment, tnndis que le pauvre et l’étranger sont conduits sous cette voûte, qui est un meilleur abri que celui que beaucoup d’entre eux ont eu là pendant leur vie. Oui, il se trouve là trois chrétiens qui étaient, il y a quelque temps, aussi gais et aussi actifs qu’aucun de nous.

— Il y a quatre cadavres !

Pierre parut surpris ; il réfléchit un instant, et continua ainsi :

— Alors un nouveau malheureux vient de périr. Le temps viendra où mon sang se glacera aussi. C’est un sort qu’un guide doit toujours avoir présent à l’esprit, car il y est exposé à toutes les heures et dans toutes les saisons.

Adelheid ne poursuivit pas plus longtemps cette conversation ; elle se rappela qu’elle avait entendu dire que la pure atmosphère des montagnes prévenait cette corruption qui s’associe ordinairement d’une manière si horrible avec l’idée de la mort : ce souvenir la réconcilia un peu avec les funérailles du Saint-Bernard.

Pendant ce temps, le reste de la société s’était éveillé, et se réunissait devant la hutte. On sella les mules, on chargea le bagage, et Pierre appelait les voyageurs pour partir, lorsque Uberto et Neptune vinrent en sautant sur le sentier et se mirent en route cote à côte avec la meilleure harmonie possible. Les mouvements des chiens étaient de nature à attirer l’attention de Pierre et des muletiers, qui prédirent qu’on allait bientôt voir