Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Que devint l’enfant ? demanda le digne frère Xavier, qui avait pris le plus grand intérêt à cette narration.

— Je ne pouvais pas l’abandonner, mon père, et je ne le désirais pas non plus. Il m’arriva dans un moment où Dieu, pour nous punir de nos murmures sur l’état qu’il nous a choisi, avait repris notre propre enfant, que je remplaçai par celui qui venait de m’être confié ; je lui donnai le nom de mon fils, et je puis dire avec sincérité que je transportai sur lui l’amour que je portais à mon enfant ; le temps, l’habitude, et peut-être la connaissance du caractère de Sigismond, produisirent une partie de cette affection. Marguerite ne connut jamais cette supercherie, quoique l’instinct maternel élevât souvent des soupçons dans son cœur ; nous n’avons jamais parlé franchement sur ce sujet, et, comme vous, elle entend aujourd’hui la vérité pour la première fois de sa vie.

— Ce fut un terrible mystère entre Dieu et mon cœur, murmura Marguerite. Sigismond méritait mes affections, et j’essayais d’être satisfaite. Ce jeune homme m’est cher, et me le sera toujours, quand vous le placeriez sur un trône ! Mais Christine, la pauvre Christine, est réellement l’enfant de mon cœur !

Sigismond alla s’agenouiller devant celle que jusqu’alors il avait crue sa mère, et lui demanda sa bénédiction, ainsi que la continuation de son amour. Les larmes s’échappèrent des yeux de Marguerite ; elle le bénit, et lui promit de l’aimer toujours.

— Quelques bijoux ou quelques vêtements vous furent-ils remis avec l’enfant ? Où pourrait-on les trouver ? demanda le doge, dont l’esprit était trop profondément occupé du soin d’apaiser ses doutes pour pouvoir écouter autre chose.

— Oui ; j’ai des preuves dans ce couvent même. L’or fut employé à son équipement comme soldat. Cet enfant reçut son éducation d’un savant prêtre jusqu’à ce qu’il fût en âge d’entrer au service ; puis il porta les armes en Italie. Je savais que c’était le pays de sa naissance, quoique j’ignorasse à quel prince il devait la vie. Le temps était venu où je pensais qu’il était de mon devoir d’instruire le jeune homme de son origine ; mais je redoutais le chagrin qu’éprouverait Marguerite, celui que j’éprouverais moi-même, et je pensais aussi que Sigismond préférerait nous appartenir, tout humbles et tout méprisés que nous étions, que de se trouver sans nom, sans pays, sans famille. Cependant il était nécessaire de parler, et j’avais formé le projet de lui révéler ici la vérité en présence de Christine. Pour cette raison,