Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/77

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yeux presque toujours fixés sur les cieux dans la direction du Mont-Blanc, les reportant de temps en temps sur la barque immobile et chargée ; mais, lorsque l’étudiant se plaça à travers son chemin, il s’arrêta, et sourit de l’air abstrait du jeune homme et de ses regards fixés sur une étoile.

— Es-tu astronome, jeune étudiant ? demanda il Maledetto avec cette supériorité que prend le marin, lorsqu’il est sur l’eau, à l’égard d’un paisible homme de terre, très-porté ordinairement à reconnaître son impuissance sur un élément dangereux et nouveau pour lui ; tu étudies bien attentivement le monde brillant qui est là-haut ; l’astrologue Pippo lui-même ne pourrait y mettre une attention plus profonde.

— C’est l’heure convenue entre moi et celle que j’aime, pour réunir les principes invisibles de nos esprits, et nous les communiquer par l’entremise de cette étoile.

— J’ai entendu parler de ces moyens de correspondance ; en vois-tu plus que nous autres, grâce à ta connaissance des étoiles ?

— Je vois du moins l’objet sur lequel dans ce moment sont arrêtés de beaux yeux bleus qui se sont souvent fixés sur moi avec affection. Lorsque nous sommes dans une terre étrangère et dans une situation pénible, une telle correspondance a ses plaisirs !

Maso posa sa main sur l’épaule de l’étudiant, et la serra avec la force d’une vis.

— Tu as raison, dit-il avec douceur ; tire tout ce que tu pourras de ton amour et, si tu es réellement aimé, serre le nœud par tous les moyens qui sont en ton pouvoir. Personne ne sait mieux que moi le malheur d’être abandonné dans le combat égoïste et cruel des intérêts vulgaires. Ne sois pas honteux de ton étoile, mais regarde-la tant et si bien que tu en deviennes aveugle. Vois dans sa douce lumière les beaux yeux de celle que tu aimes, vois sa constance et sa tristesse dans la pâleur de cet astre ; mais ne perds pas un de ces heureux moments, car bientôt un sombre rideau te cachera ton étoile.

Le Westphalien fut frappé de l’énergie singulière aussi bien que de la poésie du marin ; il reconnut la justesse de l’allusion que Maso venait de faire, car en effet les nuages s’amoncelaient rapidement et couvraient la voûte au-dessus de leurs têtes.

— Comment trouvez-vous cette nuit ? demanda-t-il en abandonnant la contemplation de son étoile.

— Elle pourrait être plus belle, et les froids lacs de la Suisse