Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’en citerai quelques phrases : « Est-il tolérable, mon cher Monsieur, disait-il, que le pouvoir exécutif, de quelque pays que ce soit, car je ne dirai pas seulement du nôtre, possède, ou exerce, même en admettant qu’il les possède, des pouvoirs si inouïs ? Notre situation est pire que celle des musulmans ; car, en perdant leur argent, ils perdent ordinairement leur tête, et ils sont assez heureux pour ne plus sentir leurs souffrances. Mais, hélas ! c’en est fait de la liberté si vantée de l’Amérique ! Le pouvoir exécutif a englouti toutes les autres branches du gouvernement, et la première chose qu’il fera sera de nous engloutir nous-mêmes. Nos autels, nos foyers, nos personnes seront les objets de ses envahissements, et je crois fort que ma prochaine lettre ne vous parviendra que longtemps après que toute correspondance à l’extérieur aura été prohibée, que nous aurons été privés de tous moyens de communication, et qu’on nous aura mis dans l’impossibilité d’écrire en nous enchaînant, comme des bêtes de somme, au char d’un tyran sanguinaire. » Suivait ensuite une longue enfilade d’épithètes dans le goût de celles qu’on entend souvent à Billingsgate.

Je ne pus qu’admirer la vertu du système d’intérêt social, qui rend les hommes si attachés au maintien de leurs droits, n’importe dans quel pays ils demeurent et sous quelle forme de gouvernement ils vivent, et qui est si bien fait pour soutenir la vérité et nous rendre justes. Je répondis à mon correspondant en lui rendant épithète pour épithète, gémissements pour gémissements, et j’invectivai comme cela convenait à un homme lié d’intérêt avec une maison sur le point de manquer à ses engagements.

Cette dernière lettre mit fin à ma correspondance pour le présent ; et je me levai, fatigué de mes travaux, mais satisfait de leur résultat. Il était tard ; mais j’avais été trop agité pour avoir sommeil, et avant de me coucher je voulus aller voir mes hôtes. Le capitaine Poke s’était retiré dans sa chambre dans une autre partie de l’hôtel, mais la famille d’aimables étrangers dormait profondément dans mon antichambre. On m’assura qu’ils avaient soupé de bon appétit, et ils se livraient alors à un oubli fortuné, quoique temporaire, de tous leurs griefs. Satisfait de cet état de choses, j’allai alors chercher mon oreiller, ou, suivant l’expression favorite de M. Noé Poke, mon hamac.