Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/12

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oculaire. Nos historiens feraient bien d’avoir ces deux faits présents à l’esprit, car la connaissance des circonstances pourrait leur faire éviter la mortification de ne pas être crus après avoir pris la peine de citer leurs autorités, et leur épargner beaucoup de travaux pénibles et inutiles. Me trouvant donc abandonné à moi-même pour ce que les Français appellent les pièces justificatives de ma théorie et de mes faits, je ne vois pas de meilleur moyen pour préparer le lecteur à me croire, que de lui rendre un compte fidèle de ma famille, de ma naissance, de mon éducation et de ma vie, jusqu’au moment où je devins spectateur de ces faits merveilleux que j’ai le bonheur de pouvoir raconter, et qu’il sera heureux d’apprendre.

Je commencerai par ma généalogie, d’abord parce que c’est l’ordre naturel des choses, et ensuite parce que, pour tirer un bon parti de cette portion de mon histoire, toujours dans la vue de rendre le reste croyable, elle peut être utile pour aider à remonter des effets aux causes.

Je me suis généralement considéré comme étant au niveau des plus anciennes familles de l’Europe ; car il en est peu qu’on puisse suivre plus clairement et plus distinctement dans l’obscurité des temps, que celle dont je descends. Le registre de ma paroisse établit incontestablement que je suis fils de mon père, et son testament l’a confirmé ; et je crois que personne ne pourrait prouver plus positivement l’authenticité de toute l’histoire de sa famille, que je ne puis le faire à l’égard de celle de l’auteur de mes jours, depuis l’instant où il fut trouvé, dans sa seconde année, criant de froid et de faim, dans la paroisse de Saint-Gilles, cité de Westminster, dans le royaume uni de la Grande-Bretagne. Une marchande d’oranges eut pitié de ses souffrances ; elle lui donna une croûte de pain à manger, lui fit boire quelques gorgées de bière pour le réchauffer, et le conduisit devant un individu avec qui elle était habituée à avoir de fréquentes entrevues qui n’étaient pas toujours amicales. L’histoire de mon père était si obscure qu’elle était claire. Personne ne pouvait dire à qui il appartenait, d’où il venait, ni ce qu’il deviendrait ; et comme, dans des circonstances semblables, la loi ne permettait pas alors que les enfants mourussent de faim dans les rues, l’officier de la paroisse, après avoir fait tous les efforts convenables pour persuader à quelques-unes de ses connaissances qui avaient de la bienveillance, sans