Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nage, qui devint avec le temps mon grand-père maternel, était un de ces marchands adroits qui encouragent la folie des autres dans la vue d’en profiter. Une expérience de cinquante années l’avait rendu si expert dans la pratique de sa profession, qu’il était rare qu’il ouvrit une nouvelle veine dans sa mine, sans se trouver récompensé de son entreprise par un succès qui répondait pleinement à son attente.

— Tom, dit-il un jour à son apprenti, quand le temps eut établi entre eux une pleine confiance et une réciprocité de sentiments, tu es né sous une heureuse étoile, ou l’officier de paroisse ne t’aurait jamais amené chez moi. Tu ne te doutes guère de la fortune qui t’attend et des trésors qui sont à tes ordres, si tu es laborieux, et surtout fidèle à mes intérêts. — Mon grand-père ne laissait jamais échapper l’occasion de jeter dans ses discours une morale utile, malgré le caractère général de voracité qui distinguait son commerce. — À combien crois-tu que monte mon capital ?

Mon père hésita à répondre, car jusque alors ses idées ne s’étaient portées que sur les profits. Jamais il n’avait osé élever ses pensées jusqu’à la source d’où il voyait qu’ils découlaient abondamment. Une question si inattendue le prenait au dépourvu ; mais comme il avait le calcul facile, il ajouta dix pour cent à la somme qu’il savait que l’année précédente avait rapportée pour produit net de leur industrie réunie, et il en énonça le total en réponse à la demande qui lui avait été faite.

Mon futur grand-père rit au nez de son apprenti.

— Tom, lui dit-il, quand son envie de rire commença à se passer, tu en juges d’après ce que tu regardes comme la valeur des marchandises qui sont sous tes yeux ; mais tu devrais faire entrer en compte ce que j’appelle notre capital flottant.

Tom réfléchit un instant. Il savait que son maître avait de l’argent dans les fonds publics, mais il ne regardait pas cette partie de sa fortune comme applicable à ses affaires commerciales ; et quant à un capital flottant, il ne voyait pas en quoi il pouvait servir dans leurs affaires, puisque la disproportion entre le prix d’achat des différents objets qu’ils vendaient et celui de leur vente était si considérable, qu’il devenait inutile d’avoir recours à d’autres fonds. Cependant, comme son maître payait rarement les objets qu’il achetait avant que leur vente lui eût rapporté six à