Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/179

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l’île flottante, il rapporta avec lui un fragment considérable de glace. On porta ce fragment à la cuisine, où il fut soumis à l’action du feu, qui, au bout d’un certain nombre de minutes, le fit fondre, ce qui me paraissait tout simple. Mais toute cette opération fut suivie avec la plus vive anxiété par tous les Monikins ; et quand on en eut annoncé le résultat, l’aimable Chatterissa frappa ses jolies petites pattes l’une contre l’autre en signe de joie, et fit toutes les autres démonstrations d’allégresse qui caractérisent les émotions du sexe charmant dont elle était un si brillant ornement. Le docteur Reasono ne tarda pas à nous expliquer la cause d’une gaieté aussi extraordinaire, car jusque-là ses manières avaient conservé cette réserve digne et affectée, qui est la marque d’une éducation distinguée. L’expérience avait prouvé, d’après le docte et infaillible témoignage de la chimie monikine, que nous étions maintenant sous l’influence d’un climat à vapeur, et qu’on ne pouvait plus raisonnablement douter que nous ne dussions arriver au bassin polaire.

L’événement démontra que le philosophe avait raison. Vers midi, les glaces flottantes, qui pendant toute cette journée avaient commencé à prendre ce qu’on appelle une tendance à la liquéfaction, ouvrirent tout à coup un passage, et le Walrus redescendit dans son élément naturel avec autant de calme que de dignité. La capitaine Poke démonta sans perdre de temps son appareil, et une brise agréable, satinée de vapeur, ayant commencé à souffler de l’ouest, nous déployâmes nos voiles. Nous allions au sud en droite ligne, sans nous inquiéter de la glace, qui cédait à notre proue comme si ce n’eût été qu’une eau épaisse ; et au moment même où le soleil se couchait, nous entrâmes en triomphe dans une mer libre, dont l’aspect riant nous annonçait un plus heureux climat.

Le vaisseau resta sous voiles toute la nuit, et dès que le jour parut, nous touchâmes la première pierre milliaire, preuve infaillible que nous étions actuellement dans le pays des Monikins. Le docteur Reasono eut la bonté de m’expliquer l’histoire de ce phénomène aquatique. Il paraîtrait que, lors du fameux tremblement de terre, la croûte du globe tout entière, dans toute cette partie du monde, l’exhaussa de manière à donner à la mer une profondeur uniforme, qui n’excède jamais quatre brasses. Il en résulte nécessairement que jamais la force du vent du nord ne