Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/21

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conde période du changement qui se manifesta dans les opinions de mon père. Depuis cet instant, son ambition se développa, ses vues s’agrandirent en proportion de sa fortune, et ses méditations sur son capital flottant devinrent plus profondes et plus philosophiques. Il est vraisemblable qu’un homme doué de tant de sagacité naturelle que mon père, dont l’âme était entièrement absorbée par la soif du gain, dont l’esprit s’était formé en trafiquant en quelque sorte avec les éléments des faiblesses de l’humanité, trouvait, pour s’élever plus haut, quelque route plus digne de lui que celle qu’il avait laborieusement suivie pendant les longues années d’un pénible apprentissage.

La fortune de ma mère consistait en placements hypothécaires sur particuliers ; son protecteur, son patron, son bienfaiteur, son père putatif, ayant une répugnance invincible pour ce corps sans âme, cet être de raison, cette richesse de convention, qu’on appelle les fonds publics, et ne pouvant y avoir confiance. Le premier indice que donna mon père d’un changement dans ses idées financières, fut de faire rentrer toutes ses créances, et d’adopter le plan d’opération de Napoléon, en concentrant ses forces sur un point particulier, afin de pouvoir faire agir des masses. Ce fut aussi vers cette époque qu’il cessa tout à coup de déclamer contre les taxes. Ce changement peut se comparer à celui qu’on remarque dans le style d’un journal ministériel qui cesse d’injurier un état étranger avec lequel sa nation était en guerre, quand le gouvernement pense enfin qu’il est d’une bonne politique de la terminer. À peu près par la même raison, mon père prit alors la prudente résolution de s’allier à une puissance dont il avait été l’ennemi constant. La totalité de ses quatre cent mille livres sterling fut libéralement placée dans les fonds publics ; l’ancien apprenti d’un marchand d’articles de fantaisie entra comme taureau[1] dans l’arène des spéculations vertueuses et patriotiques de la finance, et s’il y mit plus de prudence, il y porta du moins une partie de l’énergie et de l’obstination de l’animal qui a donné son nom à cette classe d’aventuriers. Le succès couronna ses louables efforts ; l’or tomba sur lui comme la pluie était tombée sur la terre lors du déluge, et il se trouva porté, corps et âme, à cette hauteur digne d’envie, où il semble qu’il faut être placé pour

  1. On appelle en Angleterre bull, ou taureau, celui qui joue à la hausse dans les fonds publics, et bear, ou ours, celui qui joue à la baisse.