Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/22

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pouvoir prendre une juste vue de la société dans toutes ses phases. Toutes les idées qu’il s’était formées de la vie, tant en morale qu’en politique, pendant ses premières années, et qu’on pouvait appeler des vues étroites, furent alors complètement jetées dans l’ombre par la perspective plus étendue qu’il avait sous les yeux du haut de son élévation.

Je suis fâché que la vérité me force d’avouer que mon père ne fut jamais charitable dans l’acception vulgaire de ce mot. Mais, d’une autre part, il déclarait toujours que l’intérêt qu’il prenait à ses semblables était d’un ordre plus élevé, et il voyait d’un seul coup d’œil le bien et le mal sous tous leurs aspects. C’était cette sorte d’affection qui porte un père à corriger son enfant, pour que les souffrances présentes soient une leçon qui lui apprenne à devenir utile et respectable par la suite. Agissant d’après ces principes, il s’éloigna graduellement davantage de ses semblables ; sacrifice qui était probablement exigé par la sévérité de ses reproches pratiques contre leur dépravation croissante, et par la politique austère qui était indispensable pour leur donner de la force. À cette époque, mon père connaissait parfaitement ce qu’on appelle la valeur de l’argent ; ce qui, je crois, donne une idée plus exacte qu’on ne se la forme communément des dangers des métaux précieux, ainsi que de l’usage qu’on peut en faire, et des privilèges qui y sont attachés. Il s’étendait quelquefois sur les garanties qu’il était nécessaire de donner à la société pour sa propre sûreté. Même quand il ne s’agissait que de nommer un officier de paroisse, jamais il ne donnait sa voix qu’à un homme dont le nid était bien garni de plumes. Enfin il commença alors à souscrire au fonds patriotique, et aux autres petits arcs-boutants semblables, moraux et pécuniaires, du gouvernement, dont l’objet commun et louable était de protéger notre pays, nos autels et nos foyers.

On m’a décrit le lit de mort de ma mère comme ayant offert une scène touchante et mélancolique. Il paraît que lorsque cette femme douce et concentrée fut sur le point de quitter son enveloppe mortelle, son intelligence devint plus brillante, son discernement plus fort, et son caractère plus élevé et plus imposant à tous égards. Quoiqu’elle eût beaucoup moins parlé de nos foyers et de nos autels que son mari, je ne doute pas qu’elle n’eût été tout aussi dévouée aux premiers, et aussi fidèle aux autres, qu’il