Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/245

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sa queue ; car, sachant combien les citoyens de Leaphigh sont fiers de la longueur et de la beauté du plus noble de leurs membres, je supposais naturellement qu’un saint, qui portait un si beau manteau en signe d’humilité, devait avoir recours à quelque expédiant pour se mortifier du moins sur ce point si sensible : mais je vis que l’ampleur du manteau cachait non seulement la personne de l’archevêque, mais même la plupart de ses mouvements. Ce ne fut donc pas sans de grands doutes sur le succès que je conduisis le brigadier derrière le prélat pour faire une reconnaissance. Le résultat trompa encore mon attente. Au lieu d’être sans queue, ou de cacher sous son manteau celle que la nature lui avait donnée, ce grand dignitaire n’en avait pas moins de six, savoir : la sienne, et cinq queues factices qui y étaient ajoutées par quelque procédé d’adresse ecclésiastique que je ne tenterai pas d’expliquer. Cette queue sextuple balayait la terre, seul signe d’humilité que mon ignorance put apercevoir dans la personne et le costume de cet illustre modèle de mortification et d’humilité cléricale.

Mais le brigadier ne fut pas longtemps sans rectifier mes idées sur ce sujet. D’abord, il me fit comprendre que c’était à la queue qu’on distinguait la hiérarchie de Leaphigh. Un diacre en portait une et demie ; un prêtre, une trois quarts ; un recteur, deux ; un doyen, deux et demie ; un archidiacre, trois ; un évêque, quatre ; un archevêque, cinq ; et le primat de tout le royaume, six. La coutume de laisser les queues du clergé balayer la terre était fort ancienne, et par conséquent très-respectée. On disait qu’elle avait pris son origine dans la doctrine d’un saint de grand renom, qui avait prouvé d’une manière satisfaisante que la queue étant la partie intellectuelle ou spirituelle du Monikin, plus on la tenait éloignée de cette masse de matière, le corps, plus elle devait être indépendante, sagace et spiritualisée. Cette idée avait d’abord admirablement réussi ; mais le temps qui use tout, et même une queue, avait fait naître des schismes dans l’Église sur ce sujet intéressant : un parti prétendant qu’il fallait ajouter deux nœuds à la queue du primat pour soutenir l’Église ; l’autre insistant pour qu’on en retranchât deux pour introduire une réforme dans l’Église.

Ces explications furent interrompues par l’arrivée des deux futurs, qui entrèrent chacun par une porte différente. La char-