CHAPITRE II.
uoique mon père fût beaucoup trop sage pour craindre, sous
un point de vue mondain, de jeter un regard en arrière sur son
origine, il ne lui arrivait jamais de remonter assez haut pour
atteindre le mystère sublime de son existence morale ; et tandis
que son imagination était toujours tendue pour tâcher de pénétrer
dans l’avenir, ses pensées étaient trop terrestres pour songer
à un autre jour de règlement de comptes que ceux qui sont
fixés par les ordonnances de la Bourse. Suivant lui, naître était le
commencement d’une spéculation, et mourir déterminait la
balance du profit et de la perte. Un homme qui avait si rarement
médité sur le changement grave qui s’opère dans toute la nature
animée, n’en était que moins préparé au spectacle solennel d’un
lit de mort. Quoiqu’il n’eût jamais véritablement aimé ma mère,
— car l’amour était un sentiment trop pur et trop élevé pour un
homme dont l’imagination était habituellement concentrée dans
les beautés de son livre de doit et avoir, — il avait toujours eu
des égards pour elle ; et, comme je l’ai déjà dit, il s’était montré
disposé, depuis sa dernière maladie, autant que le comportaient
son caractère et ses habitudes, à contribuer en tous points à son
bien-être en ce monde. D’une autre part, le naturel tranquille de
ma mère avait besoin d’une influence plus active que la tiède
affection d’un tel mari, pour donner la vie à ces germes d’un
amour doux, mais profond, qui se trouvaient certainement dans
son cœur, mais qui y étaient comme du grain flétri dans le sein
de la terre par les rigueurs de l’hiver. La dernière entrevue d’un
tel couple ne paraissait pas devoir être accompagnée de violentes
démonstrations de chagrin.