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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/301

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la verge de la responsabilité. Un pouvoir absolu a pour cela même de grands moyens pour corrompre la vertu ; au lieu que la responsabilité d’une autorité maintenue dans de certaines bornes est propre à le tenir en échec, Tel est du moins le fait chez les Monikins ; mais il est possible que tout aille mieux parmi vous autres hommes.

— Permettez-moi de vous dire, monsieur Downright, que vous énoncez des opinions diamétralement opposées à celles du monde entier, qui regardent la vertu comme un ingrédient indispensable dans une république.

— Le monde, — je parle toujours du monde des Monikins, — ne connaît guère la véritable liberté politique que comme une théorie. Dans le fait, nous sommes le seul peuple qui s’en soit occupé en pratique ; et je vais vous dire quel est le résultat de mes propres observations dans mon pays. Si les Monikins étaient tous parfaitement vertueux, on n’aurait besoin d’aucun gouvernement ; mais étant ce qu’ils sont, nous croyons que le plus sage est de les employer à se surveiller les uns les autres.

— Mais vous vous gouvernez vous-mêmes. Savoir se gouverner, c’est savoir se contraindre ; et savoir se contraindre, est l’équivalent d’être vertueux.

— Si le mérite de notre système dépendait de savoir se gouverner soi-même, dans votre sens, ou de savoir se contraindre, dans quelque sens que ce soit, il ne vaudrait pas la peine de continuer cette discussion. C’est un de ces arguments captieux et flatteurs que des moralistes, abusés par un jugement faux, emploient pour tâcher de porter les Monikins à faire le bien. Notre gouvernement est basé sur un principe absolument contraire ; celui de se surveiller et de se contraindre les uns les autres, au lieu de se fier à la possibilité de se contraindre soi-même. Personne ne s’imposerait volontiers de la contrainte à soi-même en quelque chose que ce soit ; mais chacun se charge avec plaisir d’en imposer à ses voisins. Cela s’applique aux règles nécessaires et positives de la société, et à l’établissement des droits. Quant à la simple morale, les lois ont peu d’effet pour forcer à en suivre les principes. La morale dérive ordinairement de l’instruction, et quand chacun jouit du pouvoir politique, l’instruction est une garantie que chacun désire.

— Mais quand chacun a le droit de voter, chacun peut désirer