Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/321

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sans retour. — Cette décision devint la cause éloignée de la calamité récente du capitaine Poke. — Dès que le roi fut ainsi constitutionnellement privé de sa mémoire, il fut aisé de le dépouiller de toutes ses autres facultés ; après quoi on eut l’humanité de décider qu’il ne pouvait pas faire mal, ce qui était juste et vrai pour un être aussi nul. Développant cette idée, appuyée sur un principe également humain et chrétien, et voulant que les pratiques s’accordassent entre elles, on décréta bientôt après qu’il ne ferait absolument rien. L’aîné de ses cousins, dans la ligne masculine, fut légalement proclamé son substitut. Un rideau cramoisi fut tiré devant le trône ; mais comme le cousin pouvait aussi à son tour faire vaciller le bâton et déranger la balance du trépied, les autres pouvoirs décidèrent que si Sa Majesté avait par la constitution le droit incontestable de désigner celui qui serait son premier cousin de la ligne masculine, eux avaient également le droit constitutionnel de dire celui qui ne le serait pas. Le résultat de tout cela fut un compromis ; Sa Majesté qui, semblable à toute autre personne, préférait aux amertumes de la puissance les douceurs qu’elle procure, consentit à se laisser hisser sur le haut du trépied ; là, paraissant assis au gouvernail, il peut recevoir les hommages, boire et manger en paix, laissant aux autres le soin de s’acquitter du reste de la besogne le mieux qu’ils pourront. Bref, telle est l’histoire, et telle était la politique de Leaplngh quand j’eus l’honneur de visiter ce pays.

Les Leaplowers étaient résolus de prouver que tout ceci était radicalement mauvais. Ils décidèrent d’abord qu’il n’y aurait qu’une seule grande poutre sociale, et dans le but de lui donner une solidité parfaite, ils firent à tous les citoyens un devoir de soutenir sa base. L’idée d’un trépied leur plaisait assez, mais au lieu de le placer à l’instar de Leaphigh, ils renversèrent sa forme, le posèrent au sommet de leur poutre les jambes en l’air, et sur chacune d’elles on plaça un agent pour faire mouvoir la machine de l’État ; on eut soin aussi d’y envoyer de nouveaux agents à des époques fixes. Ils raisonnaient ainsi : Si l’une des poutres glisse — ce qui pourra leur arriver par un temps humide, — alors le roi, les nobles, et le peuple se fourvoyant et se heurtent l’un l’autre, tous les rouages de l’État seront renversés, ou au moins tellement dérangés qu’ils n’iront jamais aussi bien qu’auparavant : c’est pourquoi nous n’en voulons pas. D’un autre côté, si l’un de nos agents a