Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/349

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d’égoïsme était entièrement éveillé. Une longue expérience m’a prouvé que le sentiment de l’aristocratie est actif et vigilant. Je n’ai jamais visité un pays où la minorité ait eu la fantaisie de se croire capable de gouverner le reste de la société, sans qu’elle prouvât aussitôt sa position en répandant le ridicule ou l’injure. Dans cette occasion, la minorité ressemble aux femmes qui, sentant leur faiblesse, compensent le manque de vigueur de leurs membres par la vigueur de leur langue. L’autorité absolue fait pendre, la majorité commande par la dignité de la force, la minorité se plaint et injurie. Je crois qu’il en est ainsi dans le monde entier, excepté chez les peuples où la minorité jouit aussi du privilège de pendre.

Il est digne de remarque que les termes de canaille, désorganisateurs, jacobins et agrairiens[1], se répandirent dans Leaplow sous cette maligne influence, précisément avec autant de justesse et de goût que mon père les répandait à Londres quelques années auparavant. Les mêmes causes produisent assez souvent les mêmes effets, et rien ne ressemble à un Anglais attaqué de la fièvre de la propriété, comme un Monikin de Leaplow attaqué de la même maladie.

L’effet produit par le passage de l’ombre de l’intérêt pécuniaire est assez singulier pour mériter notre attention. Les patriotes connus depuis longtemps par leurs dispositions invariables à soutenir leurs amis, abandonnèrent leurs droits à la reconnaissance publique, et passèrent à l’ennemi sans avoir recours à aucune dissimulation. Le juge, Ami du Peuple, fut oublié au point d’être obligé de choisir d’autres fonctions, car, pendant ces temps d’éclipse, de longs services, une vertu éclairée, une bonté reconnue, n’étaient plus d’aucun poids lorsqu’on les pesait dans la même balance que le profit et la perte. Il était heureux que la situation politique de Leaplow fut assez avantageusement assurée, car l’acharnement de ceux qui achetaient et vendaient le terrain par pouces insista pour que quelques millions fussent dépensés.

  1. Il est à peine nécessaire de rappeler au lecteur intelligent qu’il n’existe aucune preuve qu’aucune société politique fut jamais assez ennemie de sa conservation pour produire des lois agraires dans le sens que des politiques à cerveau étroit ont jugé convenable de les représenter depuis la renaissance des lettres. Les célèbres lois agraires de Rome ne différaient pas beaucoup de celles des terres militaires de l’Amérique, et peut être la ressemblance est plus grande encore avec celles des modernes colonies russes. Ceux qui prennent intérêt à ce sujet doivent consulter Niebuhr.