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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/351

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— Il y a trois grandes divisions parmi les politiques, répondit-il : ceux qui n’aiment pas du tout la liberté ; ceux qui l’abaissent jusqu’à leur propre niveau, et ceux qui l’aiment pour leurs concitoyens. Les premiers ne sont pas nombreux, mais puissants par des moyens de combinaison ; les seconds sont un corps très-irrégulier, comprenant presque toute la société, mais manquant de concert et de discipline, puisque, contrairement aux premiers, aucun ne descend au-dessous de son niveau ; les troisièmes sont peu nombreux, hélas ! trop peu nombreux ; ils composent ceux qui pensent au bien-être de leurs concitoyens avant de songer à leurs propres intérêts. Maintenant nos marchands qui habitent dans les villes, unis par les mêmes intérêts, combattent le pouvoir despotique, ce qui leur a obtenu à bon marché une réputation de libéralisme parmi le peuple ; mais aussi loin que l’expérience d’un Monikin peut s’étendre, les hommes ont peut-être prouvé qu’ils étaient mieux disposés ; un gouvernement essentiellement influencé par le commerce n’a jamais été qu’exclusif ou aristocratique.

Je me souvins de Venise, de Gênes, de Pise, des villes hanséatiques et de toutes les cités d’Europe qui possèdent un caractère remarquable, et je sentis la justesse de la distinction de mon ami, en même temps je ne pus m’empêcher d’observer combien l’esprit de l’homme est bien plus sous l’influence des noms et des abstractions que sous celle des choses positives. Le brigadier partagea promptement cette opinion, remarquant aussi qu’une théorie bien compliquée avait en général plus d’effet sur l’opinion que cinquante faits, résultat qu’il attribua à la disposition qu’avaient les Monikins de s’épargner l’embarras de penser.

Je fus particulièrement frappé de l’effet produit par l’exaltation du principe sur les motifs. J’avais souvent remarqué qu’il n’était nullement prudent de compter sur ses propres motifs, par deux raisons suffisantes : la première parce que nous ne connaissons pas toujours bien les motifs qui nous font agir, et secondement, en admettant que nous les connaissions bien, il est tout à fait déraisonnable de supposer que nos amis leur donnent le même poids que nous leur donnons nous-mêmes. Dans la circonstance présente, chaque Monikin semblait parfaitement convaincu de la difficulté, et au lieu d’attendre que ses connaissances condamnassent les motifs qui les faisaient agir, il adoptait pru-