Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/352

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demment un raisonnement modéré, quoique égoïste, pour justifier ses actions, et le proclamait avec une simplicité et une franchise qui obtenait généralement du crédit. Une fois qu’un Monikin est convaincu que ses motifs n’étaient pas parfaitement désintéressés et justes, chacun est disposé à écouter ses projets, et il s’élève dans l’estime générale à mesure qu’on le trouve plus ingénieux, meilleur calculateur et plus-habile. Ces singulières circonstances rendirent la société plaisamment sincère et ingénue, et une personne qui n’eût pas été habituée à une telle franchise, ou qui en eût ignoré la cause, eût pu présumer quelquefois que le hasard l’avait jetée dans une association extraordinaire d’artistes qui vivaient sur leur esprit. J’avoue que s’il eût été de mode de porter des poches à Leaplow, j’aurais souvent été effrayé pour leur contenu : car sous l’influence de cette malheureuse éclipse on avançait des sophismes si révoltants, qu’on était véritablement conduit à penser d’une manière assez désagréable aux relations qui existent entre le meum et le tuum, aussi bien qu’aux causes inattendues par lesquelles elles étaient quelquefois troublées.

Une place importante vint à vaquer parmi les représentants de Bivouac, et le candidat des horizontaux eût été certainement choisi, sans un contre-temps relatif aux motifs dont nous parlions à l’instant. L’individu en question avait prouvé depuis peu une loyauté, un amour de la patrie, qui lui eussent fait honneur dans tout autre pays et sous d’autres circonstances, mais dont la conduite fut nécessairement présentée aux électeurs par ses antagonistes comme preuve qu’il était inhabile à se charger de leurs intérêts. Les amis du candidat prirent l’alarme et réfutèrent avec indignation les charges des perpendiculaires, affirmant que leur Monikin avait été bien payé pour ce qu’il avait fait. Malheureusement le candidat entreprit d’expliquer, par un écrit, qu’il n’avait été influencé que par le désir de faire ce qu’il croyait juste. Il fut alors jugé tout à fait incapable, et par conséquent ne fut point élu, car les électeurs de Leaplow n’étaient point assez stupides pour confier leurs intérêts à celui qui n’avait pas su prendre soin des siens propres.

Vers ce temps, un célèbre auteur dramatique fit représenter une pièce dans laquelle le héros, excité par le patriotisme, accomplissait des prodiges. Il fut sifflé pour sa peine ; le parterre, les